Effet sur le commerce entre Etats membres

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Les articles 101 et 102 TFUE s’appliquent uniquement aux accords entre entreprises et aux pratiques abusives qui sont « susceptibles d’affecter le commerce entre États membres », dès lors qu’une telle affectation pourrait « nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre États » (CJCE, 13 juillet 1966, Consten & Grundig, aff. jtes 56 et 58-64).

Cette notion d’effet sur le commerce entre États membres permet de distinguer le champ du droit de la concurrence européen de celui du droit national : si la pratique peut affecter le commerce entre États membres, elle relève potentiellement des articles 101 et 102 TFUE, qui devront alors le cas échéant être appliqués par les juridictions nationales et les autorités nationales de concurrence concomitamment avec leur droit national ; dans le cas contraire, elle échappe à leur application (Consten & Grundig, préc. ; CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière, aff. C-56/65). La détermination de l’affectation du commerce entre États membres est ainsi une question distincte et préalable à celles de la définition du marché géographique et de l’analyse de la restriction de concurrence elle-même.

La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, reprise par la Commission dans ses lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce (2004/C 101/07, ci-après « LD »), est venue préciser les éléments suivants :

 La notion de « commerce entre États membres » ne se limite pas aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais recouvre toute activité économique internationale, y compris la liberté d’établissement ou les échanges monétaires (LD, pt 19 ; CJCE, 14 juillet 1981, Züchner, aff. C-172/80, pt 18 ; CJCE, 19 février 2002, Wouters, aff. C-309/99, pt 95). Le commerce entre États membres est considéré comme affecté dès que la pratique est susceptible d’avoir un effet sur les activités économiques transfrontalières d’au moins deux États membres, sans qu’il soit nécessaire que le commerce de chacun des deux États soit touché dans son ensemble (CJCE, 29 avril 2004, British Sugar, aff. C-359/01 P, pt 28 ; CJCE, 17 octobre 1972, Cementhandelaren, aff. 8-72, pt 29). Le fait qu’une pratique ait pour objet la commercialisation de produits dans un seul État membre ne suffit pas non plus à exclure l’affectation du commerce entre États membres, dès lors qu’elle a notamment pour effet de consolider des cloisonnements nationaux (CJCE, 24 septembre 2009, Erste Group Bank, aff. C-125/07 e.a., pt 38).

 La notion d’affectation potentielle suppose par ailleurs d’établir une probabilité suffisante d’affectation des courants d’échanges entre États membres, à partir d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait (CJCE, 25 octobre 2001, Glöckner, aff. C-475/99, pt 48 ; Cass. com., 31 janvier 2012, no 10-25.772). La démonstration d’une intention subjective ou la preuve d’une affectation effective du commerce n’est pas requise, dès lors qu’il existe une présomption suffisante que celui-ci peut être affecté (LD, pts 25-26).

 L’affectation doit enfin présenter un caractère sensible, c’est-à-dire que l’influence sur les échanges entre États membres ne doit pas être « insignifiante » (Glöckner, préc., pt 48). En principe, la Commission européenne considère que les pratiques n’affectent pas sensiblement le commerce entre États membres lorsque la part de marché totale des parties sur un marché affecté n’excède pas 5 % et que le chiffre d’affaires annuel moyen européen avec les produits concernés réalisé par les entreprises en cause n’excède pas 40 millions d’euros (LD, pt 52).

 

Pour aller plus loin

L’affectation du commerce entre États membres est, en principe, appréciée de manière globale au regard tant de l’article 101 que de l’article 102 TFUE.

 En ce qui concerne l’article 101 TFUE, l’accord pris dans son ensemble doit être susceptible d’affecter le commerce entre États membres. Dans ce cas, le droit de l’Union s’appliquera à l’intégralité de l’accord, y compris aux éléments de cet accord qui n’affectent pas le commerce entre États membres. De la même façon, il est indifférent de savoir si la participation à l’accord d’une entreprise donnée affecte ou n’affecte pas sensiblement le commerce entre États membres – elle ne saurait se soustraire au droit européen au seul motif que sa participation à un accord susceptible d’affecter le commerce entre États membres est insignifiante.

 En ce qui concerne l’article 102 TFUE, l’abus doit affecter le commerce entre États membres sans qu’il soit besoin d’apprécier chaque élément de la pratique isolément. Dans le cadre d’un ensemble de pratiques poursuivant un même objectif, par exemple l’exclusion d’un concurrent, il suffit que l’une d’entre elles soit susceptible d’affecter le commerce entre États membres pour que l’article 102 TFUE soit applicable à l’ensemble des pratiques relevant de cette stratégie générale.

 

Jurisprudences pertinentes

CJUE, 1er février 2018, Schenker, aff. C-263/16 P, EU:C:2018:58

CJUE, 1er février 2018, Kühne, aff. C-261/16 P, EU:C:2018:56

CJUE, 18 juillet 2013, CNG, aff. C-136/12, EU:C:2013:489

CJUE, 28 février 2013, OTOC, aff. C-1/12, EU:C:2013:127]

CJCE, 24 septembre 2009, Erste Group Bank, aff. jtes C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P, EU:C:2009:576

CJCE, 19 février 2002, Wouters, aff. C-309/99, EU:C:2002:98

CJCE, 25 octobre 2001, Glöckner, aff. C-475/99, EU:C:2001:577

CJCE, 14 juillet 1981, Züchner, aff. C-172/80, EU:C:1981:178

CJCE, 17 octobre 1972, Cementhandelaren, aff. 8-72, EU:C:1972:84

CJCE, 13 juillet 1966, Consten & Grundig, aff. jtes 56 et 58-64, EU:C:1966:41

CJCE, 30 juin 1966, Société Technique Minière, aff. C-56/65, EU:C:1966:38

France

Cass. com., 31 janvier 2012, no 10-25.772

CA Paris, pôle 5, ch. 4, 5 juillet 2017, RG 15/12365

 

Bibliographie

CLAUDEL (E.), « La notion d’affectation du commerce entre États membres expliquée par la Cour de cassation : la pédagogie au soutien de la mise en œuvre effective du droit européen de la concurrence », RTD com. 2015, p. 258

Communication de la Commission, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JOUE no C 101 du 27 avril 2004, p. 81 « Ententes et abus de domination – Application du droit des pratiques anticoncurrentielles de l’UE : nécessité d’une affectation du commerce entre États membres », Mémento Concurrence Consommation 2022, Paris, Éditions Francis Lefebvre, 2021

POILLOT-PERUZZETTO (S.), « Affectation du commerce entre États-membres », RTD com. 2002, p. 385

SCOTT (A.) et KING (S.), « Effect on interstate trade : An overview of EU and national case law », 17 octobre 2012, e-Competitions Effect on interstate trade, art. no 49084

Auteur

Citation

Laurence Bary, Effet sur le commerce entre Etats membres, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86017

Visites 4377

Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

Acheter

 

Définition institution

La notion d’« effet sur le commerce » est le critère de compétence qui détermine l’applicabilité des règles de concurrence de l’Union européenne (UE). Il est particulièrement important dans le nouveau régime d’application de ces règles, qui fait obligation aux juridictions et autorités de concurrence nationales d’appliquer les règles de concurrence de l’UE à tous les accords et pratiques susceptibles d’affecter le commerce entre les pays de l’UE. (...) Le critère de l’affectation du commerce limite le champ d’application des articles 101 et 102 du TFUE aux accords et pratiques susceptibles d’avoir un niveau minimal d’effets transfrontaliers à l’intérieur de l’UE. En ce qui concerne l’article 101 du TFUE, c’est l’accord qui doit être susceptible d’affecter le commerce entre pays de l’UE. Si l’accord pris dans son ensemble peut affecter le commerce entre pays de l’UE, le droit de l’Union s’applique à l’intégralité de l’accord, y compris à ses parties qui, prises isolément, n’affectent pas le commerce entre pays de l’UE. Lorsque les relations contractuelles entre les mêmes parties couvrent plusieurs activités, ces activités, pour faire partie du même accord, doivent être directement liées et être partie intégrante du même accord commercial global. Si ce n’est pas le cas, chaque activité constituera un accord distinct. En ce qui concerne l’article 102 TFUE, c’est l’abus qui doit affecter le commerce entre pays de l’UE, mais cela ne signifie pas que chaque élément du comportement doive être apprécié isolément. En effet, le comportement qui fait partie d’une stratégie générale poursuivie par l’entreprise dominante doit être apprécié quant à son incidence globale. Lorsqu’une entreprise en position dominante adopte diverses pratiques dans la poursuite d’un même objectif, par exemple des pratiques visant à éliminer ou à évincer des concurrents, il suffit, pour que l’article 102 du TFUE soit applicable à toutes les pratiques faisant partie de cette stratégie générale, que l’une d’elles au moins soit susceptible d’affecter le commerce entre pays de l’UE.

L’analyse du concept d’affectation du commerce impose d’aborder plus particulièrement trois éléments :

 la notion de « commerce entre pays de l’UE » : la notion de « commerce » n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l’établissement. Cette interprétation concorde avec l’objectif fondamental du traité consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux. La condition de l’existence d’une affectation du commerce « entre pays de l’UE » suppose qu’il doit y avoir une incidence sur les activités économiques transfrontalières impliquant au moins deux pays de l’UE ;

 la notion de « susceptible d’affecter » : la notion de « susceptible d’affecter » a pour rôle de définir la nature de l’incidence requise sur le commerce entre pays de l’UE. D’après le critère type élaboré par la Cour de justice, la notion de « susceptible d’affecter » suppose que l’accord en cause doit, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre pays de l’UE. Lorsque l’accord est susceptible d’affecter la structure de la concurrence dans l’UE, l’affaire relève du droit de l’Union ;

 la notion de « caractère sensible » : le critère de l’affectation du commerce intègre un élément quantitatif qui limite l’applicabilité du droit de l’Union aux accords et pratiques qui sont susceptibles d’avoir des effets d’une certaine ampleur. Le caractère sensible peut être évalué notamment par rapport à la position et à l’importance des parties sur le marché des produits en cause. L’appréciation du caractère sensible dépend des circonstances de chaque espèce et, notamment, de la nature de l’accord ou de la pratique, de la nature des produits concernés et de la position sur le marché des entreprises en cause. Dans sa communication concernant les accords d’importance mineure, la Commission déclare que les accords entre petites et moyennes entreprises sont rarement en mesure d’affecter sensiblement le commerce entre pays de l’UE. La Commission estime que, en principe, les accords ne peuvent pas affecter sensiblement le commerce entre pays de l’UE lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies :

Le seuil de 40 millions d’euros est calculé sur la base des ventes totales hors taxes réalisées dans l’UE, durant l’exercice écoulé, par les entreprises en cause avec les produits concernés par l’accord (les produits contractuels). Les ventes entre sociétés du même groupe sont exclues. Pour appliquer le critère de seuil de part de marché, il convient de définir le marché en cause.

La Commission appliquera la présomption négative à l’application de la notion d’affectation du commerce à tous les accords, y compris ceux qui, par leur nature même, sont susceptibles d’affecter le commerce entre pays de l’UE, ainsi ceux qui impliquent des échanges avec des entreprises établies dans des pays tiers. Lorsque cette présomption négative n’est pas applicable, la Commission tiendra compte d’éléments qualitatifs liés à la nature de l’accord ou de la pratique et à la nature des produits sur lesquels ils portent.

La présomption positive relative au caractère sensible des accords tient également compte de si et comment les accords et les pratiques couvrent plusieurs pays de l’UE, s’ils se limitent à un seul pays de l’UE ou à une partie d’un pays de l’UE. Les accords et pratiques impliquant des pays tiers sont également traités. En effet, dans le cas des accords et des pratiques qui n’ont pas pour objet de restreindre la concurrence à l’intérieur de l’UE, il faut en principe examiner de plus près la question de savoir si l’activité économique transfrontalière à l’intérieur de l’UE, et donc les courants d’échanges entre pays de l’UE, sont susceptibles d’être affectés ou non. © Commission Européenne

Sur le même sujet voir le numéro spécial du bulletin e-Competitions "Effect on interstate trade : An overview of EU and national case law"

 
a b c d e f g i j k l m n o p r s t v