Les infractions aux règles de concurrence peuvent prendre des formes variées et causer différents types de préjudice aux victimes, ces dernières pouvant être, selon les cas, des clients directs ou indirects de l’auteur d’une infraction, ses concurrents, ses fournisseurs ou encore des tiers.
Ainsi, dans son arrêt Koné, la Cour de justice a considéré que les prix de protection (« umbrella pricing ») constituaient dans certaines circonstances l’une des conséquences indemnisables possibles d’une entente (CJUE, 5 juin 2014, Kone, aff. C-557/12, pt 28). Au cas d’espèce, une entreprise demandait réparation du dommage « résultant de ce qu’elle a acheté à des entreprises tierces, non membres de l’entente en cause, des ascenseurs et des tapis roulants à un prix plus élevé que celui qui aurait été fixé en l’absence de cette entente, au motif que ces entreprises tierces auraient profité de l’existence de cette dernière pour fixer leurs prix au niveau rehaussé » (ibid., pt 10).
En droit français, l’article L. 481-3 du code de commerce comporte une liste non exhaustive des préjudices dont le titulaire de l’action en dommages et intérêts du fait d’une pratique anticoncurrentielle peut demander réparation.
En pratique, cet article n’énonce pas une taxinomie impérative. La circulaire du 23 mars 2017 accompagnant l’ordonnance de transposition de la directive 2014/104/UE indique que d’autres types de préjudices peuvent être invoqués et réparés. Elle cite par exemple :
« Au titre de la perte faite, peuvent être invoqués les frais engagés pour se maintenir sur un marché et pour récupérer les parts de marché perdues, le coût de la mobilisation de la trésorerie pour faire face au surcoût, les frais de licenciement, les frais engagés en vain pour entrer sur un marché dont la victime est évincée, les frais engagés pour se déployer sur un autre marché ;
– au titre des gains manqués : les gains manqués en raison de l’éviction d’un marché ;
– au titre du préjudice moral : le préjudice de notoriété. »
L’indemnisation du préjudice quel qu’il soit s’effectue dans le respect du principe de la réparation intégrale qui consiste à replacer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si la pratique anticoncurrentielle ne s’était pas produite. L’évaluation du dommage se fait donc à partir d’une analyse contrefactuelle (« but-for analysis » en anglais), consistant à procéder à des estimations pour construire un scénario de référence avec lequel la situation réelle pourra être comparée.
S’agissant des intérêts, il résulte de la jurisprudence de la CJUE que « la réparation intégrale du préjudice subi doit inclure la compensation des effets négatifs résultant de l’écoulement du temps depuis la survenance du préjudice causé par l’infraction, à savoir l’érosion monétaire et la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l’indisponibilité du capital. » (guide pratique de la Commission concernant la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union, pt 20). Le considérant 12 de la directive 2014/104/UE précise que le paiement des intérêts « devrait être dû depuis le moment où le préjudice est survenu jusqu’à celui où les dommages et intérêts sont versés, sans préjudice de la qualification de ces intérêts en intérêts compensatoires ou en intérêts moratoires dans le cadre du droit national, et sans préjudice de la question de savoir si l’écoulement du temps est pris en compte en tant que catégorie séparée (intérêts) ou en tant que partie intégrante du dommage réel ou du manque à gagner. »
Afin de fournir des orientations sur la quantification du préjudice subi par les victimes de pratiques anticoncurrentielles, la Commission a adopté deux séries de documents en 2013 et en 2019 :
- la communication de la commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 TFUE (2013/C 167/07) a principalement pour objet de présenter le guide pratique l’accompagnant. Le paquet a été publié en même temps que la proposition ayant conduit à la directive 2014/104/UE. Le guide pratique, document de travail des services de la Commission, fournit un aperçu des diverses formes de préjudice généralement causées par les pratiques anticoncurrentielles. Il présente les avantages et les faiblesses des diverses méthodes et techniques utilisables pour quantifier le préjudice et analyse une série d’exemples concrets ;
- les orientations à l’intention des juridictions nationales sur la façon d’estimer la part du surcoût répercutée sur les acheteurs indirects (2019/C 267/07). Elles décrivent ce qu’est la répercussion d’un surcoût et son cadre juridique, cadrent le rôle de la théorie économique, donnent une vue d’ensemble des méthodes de quantification et proposent des exemples de preuves nécessaires à la quantification d’un surcoût. Elles doivent être comprises en lien avec des études sur les surcoûts (Study on the Passing-on of Overcharges) préparées par des consultants pour la Commission en octobre 2016 (Oxera and a multi-jurisdictional team of lawyers led by A. Komninos, Quantifying Antitrust Damages, Towards Non-Binding Guidance for Courts, Study prepared for the European Commission, 2009).
De façon complémentaire, la Cour d’appel de Paris a, de son côté, mis en ligne sur son site internet des fiches méthodologiques pratiques consacrés aux préjudices économiques, parmi lesquels figurent les préjudices concurrentiels.
En complément de ces documents théoriques, les actions privées relevant du droit national, l’analyse de la jurisprudence est indispensable pour cerner quel type de préjudice et quelles méthodes de quantification ont été retenues par les juridictions.