Dommages et intérêts

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

La Cour de justice a reconnu le droit à dommages et intérêts au bénéfice de toute personne ayant subi un dommage causé par des pratiques contraires aux articles 101 et 102 TFUE (CJUE, 20 septembre 2001, Courage c/ Crehan, aff. C-453/99, pt 26). La directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative aux actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence de l’Union européenne a consacré ce principe et l’a concrétisé via différentes mesures qui ont fait l’objet d’une transposition, en France comme dans les différents États membres (pour un premier bilan, v. Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre de la directive 2014/104/UE).

Selon la Cour de justice, « les personnes ayant subi un préjudice doivent pouvoir demander réparation non seulement du dommage réel (damnum emergens), mais également du manque à gagner (lucrum cessans) ainsi que le paiement d’intérêts » (CJCE, 13 juillet 2006, Manfredi, aff. jtes C-295/04 à C-298/04, pt 95). Cette définition du dommage se retrouve à l’article 3 de la directive 2014/104/UE.

Au regard du droit de l’Union européenne comme du droit français de la responsabilité civile, le dommage indemnisable peut se rattacher à deux catégories principales :

 la perte subie, c’est-à-dire la diminution du patrimoine de la victime (damnum emergens). Cet élément est parfois qualifié aussi d’effet prix et se rapporte par exemple au surcoût qu’un acheteur direct ou indirect a dû payer en raison de la violation des règles de concurrence ;
 le manque à gagner, c’est-à-dire l’exclusion d’un accroissement du patrimoine qui aurait eu lieu si l’infraction n’avait pas été commise (lucrum cessans). Cet élément est parfois qualifié aussi d’effet volume et se rapporte par exemple au recul du volume de ventes résultant du surcoût.

Par ailleurs, les intérêts doivent également être pris en compte, car ils constituent « une composante indispensable d’un dédommagement » (Manfredi, préc., pt 97).

 

Pour aller plus loin

Les infractions aux règles de concurrence peuvent prendre des formes variées et causer différents types de préjudice aux victimes, ces dernières pouvant être, selon les cas, des clients directs ou indirects de l’auteur d’une infraction, ses concurrents, ses fournisseurs ou encore des tiers.

Ainsi, dans son arrêt Koné, la Cour de justice a considéré que les prix de protection (« umbrella pricing ») constituaient dans certaines circonstances l’une des conséquences indemnisables possibles d’une entente (CJUE, 5 juin 2014, Kone, aff. C-557/12, pt 28). Au cas d’espèce, une entreprise demandait réparation du dommage « résultant de ce qu’elle a acheté à des entreprises tierces, non membres de l’entente en cause, des ascenseurs et des tapis roulants à un prix plus élevé que celui qui aurait été fixé en l’absence de cette entente, au motif que ces entreprises tierces auraient profité de l’existence de cette dernière pour fixer leurs prix au niveau rehaussé » (ibid., pt 10).

En droit français, l’article L. 481-3 du code de commerce comporte une liste non exhaustive des préjudices dont le titulaire de l’action en dommages et intérêts du fait d’une pratique anticoncurrentielle peut demander réparation.

En pratique, cet article n’énonce pas une taxinomie impérative. La circulaire du 23 mars 2017 accompagnant l’ordonnance de transposition de la directive 2014/104/UE indique que d’autres types de préjudices peuvent être invoqués et réparés. Elle cite par exemple :

« Au titre de la perte faite, peuvent être invoqués les frais engagés pour se maintenir sur un marché et pour récupérer les parts de marché perdues, le coût de la mobilisation de la trésorerie pour faire face au surcoût, les frais de licenciement, les frais engagés en vain pour entrer sur un marché dont la victime est évincée, les frais engagés pour se déployer sur un autre marché ;

 au titre des gains manqués : les gains manqués en raison de l’éviction d’un marché ;
 au titre du préjudice moral : le préjudice de notoriété.
 »

L’indemnisation du préjudice quel qu’il soit s’effectue dans le respect du principe de la réparation intégrale qui consiste à replacer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si la pratique anticoncurrentielle ne s’était pas produite. L’évaluation du dommage se fait donc à partir d’une analyse contrefactuelle (« but-for analysis  » en anglais), consistant à procéder à des estimations pour construire un scénario de référence avec lequel la situation réelle pourra être comparée.

S’agissant des intérêts, il résulte de la jurisprudence de la CJUE que « la réparation intégrale du préjudice subi doit inclure la compensation des effets négatifs résultant de l’écoulement du temps depuis la survenance du préjudice causé par l’infraction, à savoir l’érosion monétaire et la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l’indisponibilité du capital. » (guide pratique de la Commission concernant la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union, pt 20). Le considérant 12 de la directive 2014/104/UE précise que le paiement des intérêts « devrait être dû depuis le moment où le préjudice est survenu jusqu’à celui où les dommages et intérêts sont versés, sans préjudice de la qualification de ces intérêts en intérêts compensatoires ou en intérêts moratoires dans le cadre du droit national, et sans préjudice de la question de savoir si l’écoulement du temps est pris en compte en tant que catégorie séparée (intérêts) ou en tant que partie intégrante du dommage réel ou du manque à gagner. »

Afin de fournir des orientations sur la quantification du préjudice subi par les victimes de pratiques anticoncurrentielles, la Commission a adopté deux séries de documents en 2013 et en 2019 :

  • la communication de la commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 TFUE (2013/C 167/07) a principalement pour objet de présenter le guide pratique l’accompagnant. Le paquet a été publié en même temps que la proposition ayant conduit à la directive 2014/104/UE. Le guide pratique, document de travail des services de la Commission, fournit un aperçu des diverses formes de préjudice généralement causées par les pratiques anticoncurrentielles. Il présente les avantages et les faiblesses des diverses méthodes et techniques utilisables pour quantifier le préjudice et analyse une série d’exemples concrets ;
  • les orientations à l’intention des juridictions nationales sur la façon d’estimer la part du surcoût répercutée sur les acheteurs indirects (2019/C 267/07). Elles décrivent ce qu’est la répercussion d’un surcoût et son cadre juridique, cadrent le rôle de la théorie économique, donnent une vue d’ensemble des méthodes de quantification et proposent des exemples de preuves nécessaires à la quantification d’un surcoût. Elles doivent être comprises en lien avec des études sur les surcoûts (Study on the Passing-on of Overcharges) préparées par des consultants pour la Commission en octobre 2016 (Oxera and a multi-jurisdictional team of lawyers led by A. Komninos, Quantifying Antitrust Damages, Towards Non-Binding Guidance for Courts, Study prepared for the European Commission, 2009).

De façon complémentaire, la Cour d’appel de Paris a, de son côté, mis en ligne sur son site internet des fiches méthodologiques pratiques consacrés aux préjudices économiques, parmi lesquels figurent les préjudices concurrentiels.

En complément de ces documents théoriques, les actions privées relevant du droit national, l’analyse de la jurisprudence est indispensable pour cerner quel type de préjudice et quelles méthodes de quantification ont été retenues par les juridictions.

 

Bibliographie

Communication de la Commission, Orientations à l’intention des juridictions nationales sur la façon d’estimer la part du surcoût répercutée sur les acheteurs indirects, JOUE n° C 267 du 9 août 2019, p. 4

Circulaire du 23 mars 2017 de présentation des dispositions de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles et du décret d’application n° 2017-305 du 9 mars 2017, NOR : JUSC1708788C

Directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, JOUE n° L 349 du 5 décembre 2014, p. 1

Communication de la Commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE n° C 167 du 13 juin 2013, p. 19

Comm. eur., « Guide pratique concernant la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union », SWD(2013) 205, 11 juin 2013

Comm. eur., DG concurrence, WILLIAMS (I.), QUINTANA (I.), HAIN-COLE (J.) et coll., Study on the Passing-on of Overcharges : Final report, Luxembourg, Office des publications de l’Union européenne, 2017

Comm. eur., DG concurrence, Quantifying antitrust damages : Towards non-binding guidance for courts, Luxembourg, Office des publications de l’Union européenne, 2010

AMARO (R.), « Transposition de la directive Dommages en France : Regards sur le nouveau titre VIII du livre IV du Code de commerce », Concurrences n° 2-2017, art. n° 84026, p. 70

AMARO (R.), « Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles : Étude des contentieux privés autonome et complémentaire devant les juridictions judiciaires », thèse, Université Paris 5, 2012

AMARO (R.) et LABORDE (J.-F.), La réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles : recueil de décisions commentées, 2e éd., Paris, Concurrences, 2020

BEHAR-TOUCHAIS (M.), BOSCO (D.) et PRIETO (C.), L’intensification de la réparation des dommages issus des pratiques anticoncurrentielles, Paris, IRJS éditions, 2016

CHAGNY (M.), « Directive sur les actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles : Le gouvernement français publie l’ordonnance de transposition et le décret correspondant », Concurrences n° 2-2017, art. n° 84095

CHAGNY (M.) et DEFFAINS (B.), Réparation des dommages concurrentiels, Paris, Dalloz, 2015

DORANDEU (N.), « Le dommage concurrentiel », thèse Université de Perpignan, 2000

LABORDE (J.-F.), « Cartel damages actions in Europe : How courts have assessed cartel overcharges (2019 ed.) », Concurrences n° 4-2019, art. n° 92227

LAURES (B.), « Les actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence », thèse, Université Paris 10, 2018

Auteur

  • European Commission - DG COMP (Brussels)

Citation

Hugues Parmentier, Dommages et intérêts, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 85331

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

(...) Pour des raisons d’équité, il est essentiel aux yeux de l’Autorité que les consommateurs puissent obtenir réparation des préjudices qu’ils ont subis. Les actions de groupe permettent de rééquilibrer le rapport de force entre des entreprises puissantes (souvent de grands groupes) et des consommateurs par nature isolés et dont les moyens restent limités sur le plan individuel. Par ailleurs, l’existence de tels mécanismes peut contribuer à renforcer la dissuasion en faisant du consommateur un véritable acteur de la régulation concurrentielle. L’Autorité souhaitait éviter un système de réparation « à deux vitesses ». Si les entreprises empruntent souvent la voie transactionnelle, les victimes, quant à elles, n’avaient pas de moyens efficaces à leur disposition pour agir. Elles subissent de « petits » préjudices (pris individuellement), dont le montant est inférieur au coût d’une action individuelle devant la justice. L’entente entre les principaux opérateurs de téléphonie mobile, condamnés en 2005 par le Conseil de la concurrence, l’illustre bien. Faute d’action de groupe, les victimes avaient pour seule possibilité d’intenter une action en justice, soit seules, soit en se joignant à la procédure engagée par l’UFC-Que Choisir devant le tribunal de commerce de Paris. L’action de l’association de consommateurs a été rejetée, ce qui montre qu’il n’existait pas de solution pour que les victimes de pratiques anticoncurrentielles obtiennent réparation de leur préjudice. L’Autorité de la concurrence est naturellement favorable à la mise en place d’un système prévoyant tous les garde-fous nécessaires pour éviter les dérives du modèle américain dont les excès mettent en péril la compétitivité des entreprises pour ne profiter que très peu aux consommateurs. Elle est en particulier très attachée à ce qu’il y ait une bonne articulation des procédures dans le temps, les actions civiles devant être consécutives ou complémentaires à celles portées devant elle. (...) © Autorité de la concurrence

Les infractions à l’article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») (ci-après les « règles de concurrence de l’UE ») causent un préjudice important à l’économie dans son ensemble et entravent le bon fonctionnement du marché intérieur. Pour prévenir ce préjudice, la Commission a le pouvoir d’infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises qui enfreignent les règles de concurrence de l’UE (1). Ces amendes ont un objectif dissuasif : elles visent à sanctionner les entreprises en cause (effet dissuasif spécifique) et à dissuader d’autres entreprises d’adopter des comportements contraires aux articles 101 et 102 du TFUE ou de persister dans de tels comportements (effet dissuasif général) (2). Commission européenne

Voir également Recours collectif et Action et recours privés

 
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