Coûts incrémentaux

 

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Premier aperçu

Avec la libéralisation de la plupart des secteurs économiques conduisant, conformément à l’article 31 TFUE, à une disparition des monopoles publics, les opérateurs historiques ont été contraints de diversifier leurs activités. Cette diversification a permis aux opérateurs nationaux de s’appuyer sur leurs avantages de structure (réseau de commercialisation, personnels, image de marque, services supports, matériels…) pour conquérir de nouveaux marchés et/ou défendre leur position concurrentielle. Il est en effet tentant pour ces opérateurs historiques de fournir une assistance logistique et commerciale à leurs filiales dans des conditions financières très éloignées de celles du marché pour leur accorder un avantage qualifié d’aide d’Etat (CJCE 11 juillet 1996, SFEI, aff. C-39/94) et leur permettre, par le versement de « subventions croisées », de pratiquer des prix prédateurs sur ces nouveaux marchés.

Pour garantir des conditions équitables de concurrence entre les acteurs sans interdire aux opérateurs historiques de participer à ces nouvelles activités, la Commission européenne a développé le concept du « coût incrémental », c’est-à-dire : « Le coût qui correspond à l’augmentation des coûts engendrée par le développement d’une seconde activité par l’entreprise ». Ainsi, dans sa décision de principe Deutsche Post (n°2001/354/CE du 20 mars 2001, JO n° L 125 du 5 mai 2001, p. 27), qui portait sur les conditions dans lesquelles l’opérateur postal historique allemand (disposant d’un monopole sur le courrier classique) pouvait développer une activité complémentaire d’envoi de colis commerciaux, la Commission exigera que les prix facturés à la filiale (et donc au client final) tiennent compte de l’ensemble des coûts supplémentaires générés par le développement de l’activité nouvelle. À défaut, comme en l’espèce, l’opérateur historique commet un abus de position dominante (L. 420-2 du Code de commerce).

On notera toutefois que seuls les coûts supplémentaires doivent être facturés, pas ceux qui, indifféremment de l’existence ou non de la nouvelle activité, sont supportés par l’opérateur historique (Trib. UE 7 juin 2006, Ufex e.a. c./Commission, aff. T-613/97).

Cons. conc. n°04-D-79 du 23 décembre 2004 : « Le concept de coût pertinent à prendre en compte afin d’évaluer si le prix des prestations offertes en concurrence est abusif est celui du coût incrémental, c’est-à-dire le coût que l’entreprise ne supporterait pas si elle n’exerçait pas l’activité concurrentielle. En revanche, les coûts que l’entreprise est obligée d’engager pour assurer la mission de service public qui lui est confiée, et qu’elle serait obligée d’engager même si elle n’offrait pas de prestations en concurrence, n’ont pas à être pris en compte dans les coûts pertinents de l’activité concurrentielle et donc à être couverts par les recettes tirées de cette activité. Il en est ainsi des coûts fixes communs à la mission de service public et à l’activité concurrentielle ».

 

Pour aller plus loin

L’autorité de la concurrence (Avis n°05-A-06 du 31 mars 2006 ; Avis n°09-A-55 du 4 novembre 2009 ; Avis n°12-A-04 du 23 janvier 2012 ; Décision n°18-D-07 du 31 mai 2018), les juges judiciaires (Cass. Com., 13 juillet 2010, Sté Vedettes inter-îles vendéennes, n°09-67.439) et même les juges administratifs (CE, Avis, 8 nov. 2000, J.L. Bernard Consultant, n°222208 ; CE 24 juillet 2009, Sté Orange France, req. n°324642 ; CAA Lyon 17, novembre 2020, Sté Centre Léman, req. n°18LY00140) font régulièrement application de ce concept pour vérifier que le développement d’activités nouvelles par un opérateur en charge d’obligations de service public (et donc de financements publics) ne permet pas la mise en place de pratiques de prédation par les prix.

 

Bibliographie

Christophe Barthélémy, « Coûts incrémentaux et subventions croisées : une méthode d’analyse qui participe du rééquilibrage entre la libre concurrence et le service public », RJEP, juin 2005, p. 225

Jean-Paul Tran Thiet, Vincent Thouvenin, Nadine Mouy, Christophe Barthélémy, "Coûts incrémentaux" : Retour sur les avantages concurrentiels du secteur public, mai 2005, Concurrences N° 2-2005, Art. N° 1476, pp. 10-19

Célia Zolynski, « L’application du critère des coûts incrémentaux à une entreprise chargée d’une mission de service public est confirmée », note sous Cass. Com., 13 juillet 2010, n°09-67439, L’essentiel, Droit des contrats, n°9, 1er oct. 2001, p. 6

Auteur

Citation

Michaël Karpenschif, Coûts incrémentaux, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 100115

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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