Contrôle juridictionnel

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Deux sens complémentaires sont compris dans la notion de recours appliqué au droit de la concurrence.

Le premier se rapporte à un droit fondamental : celui, pour toute personne, de faire entendre sa cause par un tribunal indépendant, établi par loi, capable de décider des contestations sur des droits et obligations de caractère civil soit du bien fondé d’une accusation en matière pénale (aart. 6 de la conv. européenne des droits de l’homme ; art. 16 de la décl. des droits de l’homme). La possibilité pour les particuliers d’invoquer le droit de la concurrence ayant été reconnue, tant en droit de l’ Union européenne (CJCE, 30 janvier 1974, BRT c/ SABAM, aff. 127-73, pt 16), qu’en droit national (art. L. 410 et s. C. com.), le droit au recours concerne les actions pénales, les actions civiles en annulation de clauses contractuelles ou les actions en réparation, ainsi que les actions administratives aux mêmes fins, dans les conditions prévues par les textes et pour toutes les matières relevant de ce domaine juridique : pratiques anticoncurrentielles, concentrations économiques ou aides d’Etat.

Au second sens, le recours est aussi la voie de droit prévue contre une décision initiale, judiciaire ou administrative, revêtue d’une force contraignante, pour en suspendre l’exécution ou en en contester la validité. Un tel recours est obligatoire en cas de condamnation pénale ou administrative (art. 2 du prot. n° 7 de la conv. européenne des droits de l’homme). En droit de la concurrence, les recours sont différents, selon qu’il s’agit d’une mesure d’instruction ou d’une décision au fond, selon la nature de la décision : juridictionnelle ou administrative, selon la matière concernée et selon l’autorité qui la rend : étatique ou européenne.

Par extension peuvent être comprise dans la définition du recours les actions dont disposent les parties pour faire sanctionner les fautes ou défaillances des organes judiciaires ou administratifs chargés de la mise en œuvre du droit de la concurrence.

 

Pour aller plus loin

En premier lieu, en France, pour les actions en annulation et en réparation, l’organe de droit commun d’application du droit de la concurrence, aussi bien national que de l’UE, est le juge étatique dans le cadre d’un procès ordinaire (private enforcement). Ce juge statue par une décision juridictionnelle du premier degré, soit judiciaire – civile ou pénale –, soit administrative. Les actions civiles, tant en référé qu’au fond, s’exercent devant huit tribunaux judiciaires ou de commerce spécialisés et les appels sont portés devant la seule cour d’appel de Paris. Depuis la loi du 17 mars 2014, les demandes identiques en réparation de consommateurs fondées sur le droit de la concurrence peuvent faire l’objet d’une action de groupe à l’initiative d’une association de défense des consommateurs (art. L. 423-1 C. consom.). Les voies de recours contre tous ces jugements et décisions sont celles du droit commun, selon les procédures applicables dans chacun des deux ordres de juridiction : appel puis pourvoi en cassation.

La décision peut également être rendue par une juridiction arbitrale, auquel cas, selon qu’il s’agit d’une sentence interne ou internationale, celle-ci peut faire l’objet d’un recours suivant les procédures du code de procédure civile prévues pour chacune de ces catégories de sentences (art. 1442 à 1503 ou art. 1504 à 1527 CPC). Selon le Tribunal des conflits, lorsque la sentence concerne une personne de droit public, elle relève d’un recours devant la juridiction administrative (T. conf., 24 avril 2017, n° C4075).

Mais, en second lieu, la spécificité des recours en droit de la concurrence s’attache surtout aux décisions administratives d’application, soit nationales, soit de l’UE, statuant, aux fins d’éventuelles sanctions, sur une plainte ou une saisine d’office (public enforcement).

S’agissant du droit de la concurrence de l’UE, l’autorité compétente, aussi bien pour le droit applicable aux entreprises que pour les aides accordées par les États, est la Commission européenne (ci-après la « Commission ») lorsque, en raison de la nature de l’affaire, elle décide de se saisir elle-même.

Les recours contre les décisions de la Commission pour la mise en œuvre des règles de concurrence, qu’il s’agisse des règles applicables aux entreprises (art. 101 à 106 TFUE) ou des aides accordées par les États (art. 107 à 109 TFUE), sont fixés par les dispositions de l’article 263 TFUE. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a précisé, dans chacune des applications de ce texte – pratiques anticoncurrentielles, concentrations ou aides d’État –, la portée de ce contrôle – légalité ou pleine juridiction pour les amendes –, les modalités de celui-ci – incompétence, violation des formes substantielles, violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir –, les actes attaquables – actes destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers et les titulaires du recours : toute personne physique ou morale destinataire ou directement et individuellement concernée par de tels actes. Les recours sont portés devant le Tribunal de l’Union européenne.

Ce recours n’étant pas suspensif, un sursis à exécution de la décision de la Commission peut être demandé au Tribunal, statuant en référé, conformément à l’article 278 TFUE. Le sursis peut être accordé s’il est justifié à première vue, en fait et en droit (fumus boni iuris), et qu’il est nécessaire pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant après la mise en balance des intérêts des parties. Le Tribunal peut en outre prescrire en référé des mesures provisoires (art. 279 TFUE).

Contre les décisions du Tribunal, un pourvoi peut être formé devant la Cour, visant soit à l’annulation totale ou partielle de la décision, soit à ce qu’il soit fait droit aux conclusions des parties présentées en première instance. Limité aux questions de droit, ce pourvoi est instruit et jugé selon les dispositions des articles 167 à 190 bis du règlement de procédure de la Cour. Durant l’instance, la Cour dispose des mêmes pouvoirs de référé que le Tribunal. En cas d’annulation, elle peut soit renvoyer l’affaire au Tribunal, soit la réexaminer.

La mise en œuvre du droit de la concurrence de l’UE par ses institutions peut en outre donner lieu à l’exercice par les parties d’un recours en carence dans les conditions prévues par l’article 265 TFUE, ou à la mise en œuvre de la responsabilité extracontractuelle de l’UE conformément aux dispositions de l’article 340, alinéa 2, TFUE.

En France, l’autorité administrative compétente est l’Autorité de la concurrence (ci-après l’« ADLC ») aussi bien pour le droit national que pour celui de l’UE. Les recours contre ses décisions concernent, d’une part, les actes d’instruction, d’autre part, les mesures provisoires et les décisions au fond.

S’agissant des actes d’instruction, il n’existe pas de voies de recours autonome contre le déroulement des enquêtes simples (art. L. 450-3 C. com.). Les contestations qui s’y rapportent doivent donc être soulevées par voie d’exception dans le cadre de la procédure administrative de l’ADLC statuant au fond (Cons. const., déc. no 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, Société Brenntag). Lorsque le rapporteur de l’ADLC ou les agents habilités (art. L. 450-1 C. com.) entendent procéder à des investigations contraignantes – visites et saisies (art. L. 450-4 C. com.) –, l’autorisation doit en être demandée au juge de la liberté et de la détention, qui statue par une ordonnance. Cette ordonnance peut être contestée devant le premier président de la cour d’appel. L’exécution de ces opérations est placée sous l’autorité et le contrôle du même juge et leur déroulement peut faire l’objet d’un recours devant le premier président de la cour d’appel. Contre les ordonnances du premier président de la cour d’appel, un pourvoi en cassation peut être formé selon les règles de la matière pénale (art. L. 450-4 C. com.).

Les mêmes voies de recours sont applicables aux décisions du rapporteur général de l’ADLC relatives à la protection du secret des affaires (art. L. 463-4, L. 464-8-1 et R. 464-24-1 C. com.).

En outre, l’accès, par le rapporteur de l’ADLC ou les agents habilités, aux données conservées et traitées par les opérateurs de télécommunication doit être autorisé par le contrôleur des demandes de données de connexion, autorité administrative dont les décisions, faute de dispositions particulières, sont soumises à recours en annulation devant le Conseil d’État (art. L. 450-3-3 C. com.).

Enfin, le recours relatif à la validité de la notification par l’ADLC des actes effectués en matière de coopération avec la Commission est porté devant la cour d’appel de Paris. Ce recours n’est pas suspensif. Contre l’arrêt de la cour d’appel, le président de l’ADLC peut introduire un pourvoi en cassation (art. 11 du règl. (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002 ; art. L. 462-9-1 C. com.).

S’agissant du fond, en droit des pratiques anticoncurrentielles, la décision de l’ADLC – irrecevabilité, non-lieu, rejet ou clôture de la saisine, mesures conservatoires, constat d’infraction, injonction, sanction, astreinte – peut être contestée devant la cour d’appel de Paris (art. L. 464-7, al. 1, et art. L. 464-8 C. com.). Les modalités de ce recours spécifique, dit « en annulation » et « en réformation », sont prévues par les articles R. 464-10 à R. 464-24 du code de commerce. Ce recours n’a pas d’effet suspensif, mais, en cas d’injonction ou de sanction, il peut être accompagné d’une demande de sursis à exécution de la compétence du premier président de la cour d’appel (art. L. 464-7, al. 2, et art. R. 464-22 à R. 464-24 C. com.).

L’arrêt de la cour d’appel ou les ordonnances de son premier président peuvent être attaqués, soit par les parties, soit par l’ADLC ou le ministre chargé de l’économie, par un pourvoi en cassation qui suit la procédure ordinaire de la matière civile. Si la Cour de cassation rejette le pourvoi, l’arrêt de la cour d’appel est irrévocable ; s’il est cassé, l’affaire est, sauf exception : cassation sans renvoi au jugement au fond, renvoyé devant la cour d’appel de Paris autrement composée. La tierce opposition (art. 582 à 592 CPC) ou le recours en révision (art. 593 à 603 CPC) contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris ne sont pas exclus.

En matière de concentration, les décisions de l’ADLC ou du ministre de l’Économie peuvent être contestées par un recours pour excès de pouvoir de la compétence exclusive du Conseil d’État (art. R. 311-1 4° CJA ; lignes directrices de l’ADLC relatives au contrôle des concentrations, p. 119 et s.). Toutes les décisions portant sur l’autorisation ou l’interdiction de la concentration, mais aussi certaines décisions connexes, peuvent être visées. Ce recours peut être introduit par les parties à l’opération comme par tout tiers ayant un intérêt à agir. Les règles relatives à la recevabilité et à la procédure relèvent du droit commun. Concomitamment à un tel recours, le requérant a la possibilité de former une demande en référé tendant à suspendre la décision en cause soit par un référé « suspension » (art. L. 521-1 CJA), soit par un référé « conservatoire » (art. L. 521-3 CJA).

En cas d’annulation totale ou partielle d’une décision de l’ADLC ou du ministre de l’Économie en matière de concentration, les entreprises concernées peuvent s’il y a lieu reprendre la procédure devant l’ADLC par une notification actualisée (art. R. 430-9 C. com.).

Qu’elles statuent en application directe du droit de la concurrence ou en recours contre une décision administrative, les juridictions judiciaires ou administratives peuvent être saisies par les parties d’une question prioritaire de constitutionnalité lorsque celles-ci prétendent qu’une disposition législative du droit de la concurrence applicable au litige porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit (art. 61-1 de la Constitution). Cette question peut être transmise au Conseil constitutionnel selon la procédure prévue par les articles 23-1 et s. de l’ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

En outre, lorsque s’applique le droit de la concurrence de l’UE, le juge national peut et en certains cas doit, par la voie d’une question préjudicielle, saisir la Cour de justice soit d’un recours en interprétation, soit d’un recours en appréciation de validité (art. 267 TFUE). Dans le même cas, s’agissant du droit national ou du droit de l’UE, le protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après la « Convention »), entrée en vigueur le 1er août 2018, permet au Conseil constitutionnel, à la Cour de cassation et au Conseil d’État d’adresser à la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « CEDH ») des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles.

Lorsque la décision juridictionnelle statuant en application du droit de la concurrence, directement et en recours contre une décision administrative, méconnaît les garanties de la Convention, elle peut être contestée devant la CEDH par un recours individuel contre l’État (art. 34 de la Convention). Si elle n’est pas conforme au droit de l’UE, elle peut encore donner lieu à une procédure en manquement d’État devant la Cour de justice (art. 258 à 260 TFUE).

Enfin, selon une récente jurisprudence sur le contrôle du « droit souple », le Conseil d’État s’est jugé compétent pour connaître, par la voie d’un recours en excès de pouvoir, de la validité des lignes directrices édictées par l’ADLC pour préciser les modalités d’exercice de ses différents pouvoirs (CE, sect., 12 juin 2020, GISTI, n° 418142).

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJCE, 30 janvier 1974, BRT c/ SABAM, aff. 127-73, EU:C:1974:6

France

CE, sect., 12 juin 2020, GISTI, n° 418142

Cons. const., déc. no 2016-552 QPC du 8 juillet 2016, Société Brenntag

T. conf., 24 avril 2017, n° C4075

 

Bibliographie

Aut. conc., « Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations », 2020

VOGEL (L.), Droit de la concurrence, tome 2, Droit français, 3e éd. Bruxelles, Bruylant, 2020, p. 936, 959, 1127 à 1143, 1144 à 1149, 1151 à 1178, 1320 à 1325

VOGEL (L.), Droit de la concurrence : introduction générale, tome 1, Droit européen, 3e éd. Bruxelles, Bruylant, 2020, p. 649 à 672, 1066 à 1087

Auteur

  • French Court of Cassation (Paris)

Citation

Guy Canivet, Contrôle juridictionnel, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 89093

Visites 1875

Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

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