Les parts de marché et les niveaux de concentration sont utiles pour fournir des indications sur la structure du marché et sur la pertinence concurrentielle des acteurs du marché. Les agences antitrust utilisent couramment des indices de concentration pour mesurer le niveau de concentration d’un marché pertinent. L’indice Herfindahl-Hirschman (IHH) est l’outil le plus courant. L’IHH est équivalent à la somme des carrés des parts de marché de chaque entreprise. L’IHH part du principe que la structure de l’industrie est en corrélation avec le comportement de ses acteurs, ce qui justifie le paradigme structure-conduite-performance. D’autres indices de concentration couramment utilisés sont les ratios de concentration (CRn), qui correspondent à la somme des parts de marché détenues par les X plus grandes entreprises sur le marché concerné.
Conformément à l’OCDE (2008), les indices de concentration ne tiennent pas compte de la taille relative des entreprises sur le marché en cause et pourraient donc être moins appropriés comme outil d’évaluation initiale des effets potentiels d’une fusion. Cependant, l’IHH donne proportionnellement plus de poids aux parts de marché plus importantes et peut donc fournir une première mesure précise du degré et/ou de l’intensité de la concurrence sur un marché pertinent.
La concentration du marché et les indices de concentration sont principalement calculés sur la base des parts de marché. Toutefois, comme le reconnaissent plusieurs lignes directrices sur les fusions (pt 19 des lignes directrices sur les fusions de l’UE et sect. 5.3 « Market Concentration » des « Horizontal Merger Guidelines » aux États-Unis), l’impact d’une fusion sur un marché pertinent doit également être évalué parallèlement à d’autres preuves des effets potentiels de la fusion sur la concurrence, comme l’évaluation d’une entrée récente ou potentielle avec une petite part de marché qui n’est pas représentative de son développement futur ; l’existence d’entreprises « non conformistes » ou d’innovateurs pertinents, qui peuvent ne pas être reflétés dans les parts de marché actuelles ; l’existence de participations croisées importantes entre les acteurs du marché (qui pourraient être évaluées plus précisément avec l’IHH modifié développé par O’Brien et Salop, 1999) ou l’existence de pratiques passées ou actuelles de coordination et/ou de facilitation entre les acteurs du marché.
L’utilisation de l’IHH est reconnue dans les lignes directrices sur les fusions dans toutes les juridictions de la concurrence comme un premier outil de dépistage pour identifier les problèmes de concurrence découlant d’une fusion, y compris dans l’UE et aux États-Unis. En général, les niveaux élevés de l’IHH, combinés aux fortes variations prévues des niveaux de l’IHH à la suite d’une fusion ou d’un delta, sont habituellement considérés comme un premier indicateur de problèmes de concurrence qui méritent probablement un examen plus approfondi d’une fusion sur un marché pertinent.
La Commission européenne considère qu’il est peu probable que des problèmes soient soulevés dans des marchés dont l’IHH post-fusion est inférieur à 1 000 points. Dans l’affaire Sherwin-Williams/Valspar, la Commission a considéré qu’une faible variation projetée de l’IHH résultant de la fusion (100-200 points), quelle que soit la définition plausible du marché de produits, serait le signe d’une opération qui n’aurait pas d’impact significatif sur la structure du marché. Toutefois, cette constatation initiale qu’une fusion n’est pas susceptible de réduire la concurrence sur la base des variations de l’IHH après la fusion ne donne pas lieu à une présomption légale impérative de l’existence ou de l’absence de tels problèmes.
Aux États-Unis, le DOJ et la FTC considèrent qu’un IHH inférieur à 1 500 points correspond à des marchés non concentrés, qu’un IHH compris entre 1 500 et 2 500 points indique des marchés modérément concentrés, et que les marchés fortement concentrés ont un IHH supérieur à 2 500 points (sect. 5.3 « Market Concentration », « Horizontal Merger Guidelines »). Les lignes directrices américaines considèrent que de faibles changements dans la concentration (c.-à-d. des variations de l’IHH inférieures à 100 points après la fusion) sont peu susceptibles de générer des effets négatifs sur un marché pertinent et ne nécessitent généralement pas d’analyse supplémentaire. En revanche, une présomption réfutable d’effets potentiels probables est établie lorsque des fusions ayant lieu sur des marchés très concentrés (c.-à-d. un IHH supérieur à 2 500 points) génèrent une augmentation de l’IHH post-fusion de plus de 200 points. Si les lignes directrices présument que de telles fusions sont susceptibles de renforcer le pouvoir de marché, cette présomption peut être réfutée par des preuves convaincantes démontrant le contraire. Dans l’affaire FTC v. Staples, Inc., la cour a déclaré que, bien que les lignes directrices sur les fusions ne soient pas contraignantes pour elle, elles fournissent « une illustration utile de l’application de l’IHH ». En utilisant cette illustration, il a été considéré que des niveaux élevés d’IHH avant et après la fusion montraient une « probabilité raisonnable » d’effets anticoncurrentiels de la fusion proposée.
Au Royaume-Uni, la CMA utilise également certaines mesures de la concentration comme un premier examen afin de déterminer – comme point de départ d’une évaluation plus approfondie – si une fusion est susceptible de poser des problèmes de concurrence en l’absence de preuves plus convaincantes. Par exemple, dans l’affaire Masstock Arable (UK) Ltd. / Dalgety Arable Ltd., la CMA a considéré que la faible augmentation de l’IHH après la fusion suggérait que la fusion ne soulevait aucun problème de concurrence. Les indices de concentration sont considérés comme un indicateur utile de la perspective d’une diminution substantielle de la concurrence résultant de la fusion. Toutefois, pour mesurer la concentration du marché, plutôt que l’IHH, les lignes directrices de la CMA sur l’évaluation des fusions s’appuient fortement sur les parts de marché traditionnelles et le nombre de concurrents effectifs après la fusion.
Bien que l’IHH soit devenu un outil courant dans l’analyse antitrust, il ne convient pas à tous les contextes. La logique qui sous-tend l’IHH découle directement du modèle d’oligopole de Cournot (c.-à-d. que lorsque le nombre d’entreprises diminue, le prix d’équilibre concurrentiel augmente et l’IHH augmente), qui, à son tour, est fondé sur la concurrence par les quantités, ce qui convient aux marchés où les produits sont homogènes. Lorsque le marché est caractérisé par des produits différenciés, d’autres approches techniques sont plus appropriées, car une analyse structurelle basée sur les indices de concentration pourrait conduire à des prédictions inexactes, notamment lors de l’évaluation des effets unilatéraux des fusions.