Concurrence déloyale

 

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Premier aperçu

Définition. La concurrence déloyale décrit l’usage excessif de la liberté d’entreprendre. À la différence de la concurrence interdite qui prohibe l’exercice même de l’activité concurrentielle en vertu de la loi (concurrence illégale) ou d’un contrat (concurrence anticontractuelle ; v. Y. Serra, Concurrence interdite - Concurrence déloyale et parasitisme – Centre de droit de la concurrence, D. 2014. 2488), la concurrence déloyale sanctionne l’abus d’une liberté qui se manifeste par des comportements déloyaux spécifiques classifiés de manière non exhaustive par Roubier à travers une trilogie comprenant (i) les pratiques de dénigrement, (ii) l’imitation fautive responsable d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle, et (iii) l’utilisation de moyens de désorganisation (P. Roubier, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952, no 110, p. 504, ainsi que no 119 et s., p. 536 ; P. Roubier, Théorie générale de l’action en concurrence déloyale : RTD com. 1948, p. 541 s., spéc. p. 564. – V. aussi – Y. Picod, Y. Auguet et N. Dorandeu : Rép. com. Dalloz, V°Concurrence déloyale, 2022, n°140-233) ; (iv) Le parasitisme économique constitue également un comportement de concurrence déloyale qui s’ajoute à la trilogie établie (G. Decocq, Concurrence déloyale et parasitisme : deux régimes autonomes ? RJ com. 2010, étude 88, n°18).

Fondement. L’action en concurrence déloyale est une action en responsabilité civile qui trouve son fondement dans les articles 1240 et 1241 du Code civil (Com. 30 mai 2000, no 98-15.549, D. 2001. 2587, note Y. Serra ; CCC 2000). Par conséquent, elle implique la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité. La démonstration du préjudice est facilitée par la présomption constamment admise en jurisprudence selon laquelle « il s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de concurrence déloyale » (Cass.com, 15 janvier 2020, n° 17-27.778). La démonstration d’une faute tirée d’un comportement déloyal est toutefois délicate, bien que la jurisprudence participe à la clarification des comportements déloyaux.

Dénigrement. Premièrement, le dénigrement consiste à jeter un discrédit sur une entreprise en répandant à son sujet des informations malveillantes sur ses produits ou services (Cass.com 24 septembre 2013 n° 12-19.790). Le dénigrement ne doit pas seulement viser l’entreprise elle-même, mais doit porter sur ses produits ou services (Cass. com., 26 sept. 2018, n° 17-15.502). Le discrédit doit être porté à la connaissance du public, ce qui implique qu’il dépasse la sphère privée. Le discrédit peut être direct ou indirect. Il est direct quand il vise clairement le concurrent, et indirect (i) quand l’opérateur économique vante ses produits ou services en laissant entendre que les autres entreprises ne présentent pas des qualités similaires (CA Versailles, 10 mai 1995 : Gaz. Pal. 1996, 1, somm. p. 147) ; (ii) ou encore lorsque le produit ou le service dénigré(e) n’est pas désigné mais se trouve clairement identifiable au regard de la nature marché, par exemple si le marché est concentré et qu’un petit nombre de professionnels opère sur le marché litigieux. L’action peut être exercée en l’absence d’un rapport de concurrence dès lors qu’il existe une atteinte au libre jeu de la concurrence (Cass. com., 20 nov. 2007, n° 05-15.643).

Imitation fautive. Deuxièmement, l’imitation fautive constitue un procédé déloyal visant à créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle. Cette confusion se manifeste par une assimilation ou une similitude entre des entreprises ou les produits de celles-ci. L’imitation peut porter sur les signes distinctifs de l’entreprise (nom commercial, enseigne, dénomination sociale, nom de domaine, etc.), sa publicité (T. com. Versailles, 19 sept. 1991 : PIBD 1992, III, p. 52), et ses produits (Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-24.979 : JCP E 2016, 1347, A. Ballot-Léna et G. Decocq). Pour évaluer le risque de confusion, le juge prend notamment en compte la notoriété des signes distinctifs, leur rayonnement géographique, la nature du produit litigieux et son éventuelle banalité. Par ailleurs, l’action en concurrence déloyale pour imitation fautive peut venir compléter l’action en contrefaçon. Néanmoins, pour être recevable, l’action en concurrence déloyale doit sanctionner des faits distincts de l’action en contrefaçon. La démonstration du fait distinct s’avère souvent délicate (Cass. com., 1er juill. 2008, n° 07-14.741 ; CCC 2008, comm. 240, obs. M. Malaurie-Vignal).

Désorganisation. Troisièmement, l’utilisation de moyens de désorganisation renferme des pratiques telles que le débauchage et la violation d’un réseau de distribution mis en place par un concurrent. Le débauchage de salariés n’est illicite que s’il résulte de manœuvres déloyales et entraîne une désorganisation de l’entreprise concurrente (Cass. com., 18 nov. 2020, n° 18-19.012). De même, la revente hors réseau ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale sauf si la vente s’accompagne d’une faute (Cass. com. 18 novembre 2020, n° 19-13.479). À titre d’exemple, la vente hors réseau de produits de luxe dans des lieux non appropriés peut constituer un acte de concurrence déloyale pour dévalorisation du produit et atteinte à son image de marque (Cass. com. 18 novembre 2020, n° 19-13.479.)

Parasitisme. Quatrièmement, le parasitisme (G. de Moncuit de Boiscuillé, Parasitisme, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, art. N° 12319) est traditionnellement défini comme un comportement par lequel un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire (Cass. com., 26 janvier 1999, no 96- 22.457, obs. Y. Serra, D. 2000, p. 87). La concurrence parasitaire décrit le parasitisme entre concurrents (Y. Picod, Y. Auguet et N. Dorandeu : Rép. com. Dalloz, V° Concurrence déloyale, 2010, n° 195 s. – D. Legeais, Concurrence déloyale et parasitaire, JC Commercial, Fasc. 254, aout 2021) tandis que les agissements parasitaires peuvent être sanctionnés en l’absence de tout rapport concurrentiel (Cass. com., 30 janv. 1996 : D. 1996, inf. rap. p. 63), si bien que le risque de confusion n’est pas une condition de l’action fondée sur le parasitisme (Cass. com., 20 mai 2014, no 13-16.943 ; v. aussi M. Malaurie-Vignal, Droit de la concurrence interne et européen, ed. 8, n° 431, 2019). L’acte de parasitisme décrit plus spécifiquement une faute lucrative (G. de Moncuit de Boiscuillé, « La faute lucrative en droit de la concurrence », avant-propos L. Idot, pref. M. Chagny, sept. 2020) caractérisé dans « le fait de s’inspirer ou de copier, à titre lucratif et de façon injustifiée, la valeur économique d’autrui » (CA Paris, ch. 1, 12 avril 2016, n°15/00425).

Régime de sanction. L’action en concurrence déloyale ouvre droit à des dommages-intérêts compensatoires. En application du principe de réparation intégrale, le juge est tenu de réparer « tout le dommage mais rien que le dommage » causé par un acte de concurrence déloyale. Les dommages-intérêts doivent donc couvrir à la fois la réparation de la perte subie (Lucrum cessans) par la victime, la perte de chance liée à la disparition certaine d’une éventualité favorable, mais également le gain dont elle a été privée (Damnum Emergens). Néanmoins, une évolution jurisprudentielle a conduit à une nouvelle interprétation du principe de réparation intégrale en intégrant les gains illicites dans l’indemnisation du dommage (Cass. com., 12 févr. 2020, n° 17-31.614, RLC, Nº 95, obs. G. de Moncuit).

 

Pour aller plus loin

L’arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2021 (Cass. com., 10 févr. 2021, n° 18-26.035) a réaffirmé l’autorité du principe de réparation intégrale, ce qui interroge sur la portée à donner à l’arrêt de 12 février 2020 dans lequel la Cour de cassation invitait à prendre en compte les gains illicites dans le calcul de la réparation du dommage (Cass. com., 12 févr. 2020, nº 17‐31.614, RLC, Nº 95, obs. G. de Moncuit ; D. 2020. 1086, note J.-S. Borghetti). La jurisprudence semble hésitante sur ce point et, dans un autre arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation a affirmé « que constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d’une règlementation dans l’exercice d’une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur » (Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414). La Cour de cassation a donc considéré que l’acte de concurrence déloyale en cause « induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur », ce qui semble ici consacrer non plus une présomption de préjudice, mais une présomption de gain illicite qui impliquerait logiquement de prendre en compte les profits illicites dans la quantification du dommage. Le profit réalisé sous la forme d’un « avantage indu » renvoie à la définition de la faute lucrative proposée dans notre ouvrage et décrite comme « toute faute commise au préjudice d’autrui qui rapporte un gain, une économie, ou un avantage indu à son auteur » (G. de Moncuit de Boiscuillé, « La faute lucrative en droit de la concurrence », avant-propos L. Idot, pref. M. Chagny, sept. 2020, p. 268). Au regard du résultat lucratif de l’acte de concurrence déloyale et parasitaire, il serait utile de consacrer clairement des dommages et intérêts restitutoires qui sont complémentaires des dommages-intérêts compensatoires. Cela est possible en assurant pour la victime un droit d’option entre le principe de réparation intégrale du préjudice et le principe de restitution intégrale des profits illicites (G. de Moncuit de Boiscuillé, La réparation et l’évaluation du préjudice tiré d’un acte de concurrence déloyale, Actes du colloque « Concurrence déloyale, une nouvelle arme dans la concurrence », RLC 4170 n°111, décembre 2021, p.37). Cette consécration d’un principe de restitution intégrale en complément du principe de réparation intégrale limiterait la pratique clandestine des juges du fond qui, sous le manteau de leur appréciation souveraine, gonflent les dommages-intérêts (S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, Thèse, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, 1995). Elle est aussi souhaitable pour renforcer l’attractivité et l’efficacité des actions en dommages et intérêts.

 

Jurisprudences pertinentes

Cour de cassation

Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.414

Cass. com., 10 févr. 2021, n° 18-26.035

Cass. com, 18 nov. 2020, n° 18-19.012

Cass. com. 18 novembre 2020, n° 19-13.479

Cass. com., 12 févr. 2020, nº 17‐31.614, RLC, Nº 95, obs. G. de Moncuit ; D. 2020. 1086, note J.-S. Borghetti

Cass.com, 15 janvier 2020, n° 17-27.778

Cass. com, 26 sept. 2018, n° 17-15.502

Cass. com, 10 févr. 2015, n° 13-24.979 : JCP E 2016, 1347, A. Ballot-Léna et G. Decocq

Cass. com, 20 mai 2014, no 13-16.943

Cass. com, 21 févr. 2012, n° 10-27.966

Cass. com, 1er juill. 2008, n° 07-14.741 ; Contrats, conc. consom. 2008, comm. 240, obs. M. Malaurie-Vignal

Cass. com, 20 nov. 2007, n° 05-15.643

Cass. com, 26 janvier 1999, no 96- 22.457, obs. Y. Serra, D. 2000, p. 87

Cass. com, 30 janv. 1996 : D. 1996, inf. rap. p. 63

Cour d’appel

CA Paris, pôle 5, ch. 2, 13 mars 2020, n° 19/04127

CA Paris, ch. 1, 12 avril 2016, no 15/00425

CA Versailles, 10 mai 1995 : Gaz. Pal. 1996, 1, somm. p. 147

 

Bibliographie

Ouvrages

G. de Moncuit de Boiscuillé, « La faute lucrative en droit de la concurrence », avant-propos L. Idot, pref. M. Chagny, sept. 2020

M. Malaurie-Vignal, Droit de la concurrence interne et européen, ed. 8, n° 431, 2019

S. Carval, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, Thèse, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, 1995

P. Roubier, Le droit de la propriété industrielle, t. 1 : Sirey, n° 106 (1952)

Articles – Encyclopédies

D. Legeais, Concurrence déloyale et parasitaire, JC Commercial, Fasc. 254, aout 2021

P. Roubier, Théorie générale de l’action en concurrence déloyale : RTD com. 1948, p. 541 s., spéc. p. 564

P. Roubier, Le droit de la propriété industrielle, t. 1, Sirey, 1952

Y. Picod, Y. Auguet et N. Dorandeu : Rép. com. Dalloz, V° Concurrence déloyale, 2022, n°140-233

Auteur

Citation

Godefroy de Moncuit de Boiscuillé, Concurrence Déloyale , Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 89139

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Le droit de la concurrence déloyale concerne les rapports entre deux entreprises considérées individuellement ; il a pour objet de protéger l’une d’elles contre les manœuvres de l’autre, qui, en transgressant les règles du commerce loyal, cherche à détourner la clientèle de ses concurrents. Il convient de le distinguer des règles qui protègent les titres de propriété industrielle (brevets, marques de fabrique, dessins et modèles déposés) contre les contrefaçons ou imitations : bien que le but des règles de cette catégorie soit également la protection de la clientèle (à travers celle des moyens de production ou d’identification des produits appartenant à une entreprise), elles constituent une branche particulière du droit. (c) Encyclopaedia Universalis

 
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