Charge de la preuve

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

La notion de charge de la preuve permet de répondre à la question de savoir « qui doit prouver quoi ». Elle se définit comme le devoir qui incombe à une partie d’alléguer un fait et, s’il est contesté, de l’établir preuves à l’appui, sous peine de se voir débouter de sa demande. Cette définition recouvre deux dimensions. D’un côté, la charge objective de la preuve pèse invariablement sur une seule et même partie, qui supporte le risque de preuve : c’est à son détriment que joue l’impossibilité de prouver une allégation. De l’autre, la charge subjective de la preuve renvoie au devoir d’apporter des éléments de preuve à l’appui d’une allégation contestée. Elle pèse initialement sur la partie qui supporte la charge objective de la preuve, mais peut alterner d’une partie à l’autre selon les éléments de preuve produits (AV. GEN. KOKOTT, conclusions 19 févr. 2009, C-8/08, T-Mobile Netherlands, §80).

 

Pour aller plus loin

L’article 2 du règlement (CE) n o 1/2003 régit la répartition de la charge objective de la preuve dans toutes les procédures nationales et européennes d’application des articles 101 et 102 TFUE selon un dispositif bipartite. D’une part, conformément à l’adage ei incumbit probatio qui dicit non qui negat, ce dispositif prévoit que la charge de prouver une violation de l’article 101, paragraphe 1, ou de l’article 102 TFUE pèse sur la partie ou sur l’autorité qui l’allègue. Elle doit établir tous les éléments constitutifs des infractions qu’elle constate, y compris leur durée (TUE, 3 mars 2011, T-110/07, Siemens, § 174) et la participation des entreprises poursuivies (CJCE, 8 juill. 1999, C-49/92 P, Anic, § 86). Le doute profite à ces dernières (TUE, 26 janv. 2022, T286/09 RENV, Intel, §§ 161-162).

D’autre part, conformément à l’adage reus in excipiendo fit actor, le dispositif de l’article 2 du règlement (CE) n o 1/2003 impose à l’entreprise qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE de prouver que les conditions de ce paragraphe sont satisfaites. Plus généralement, faisant écho au considérant 5 du règlement (CE) n o 1/2003, le droit de l’Union met à la charge de cette entreprise la preuve que sont satisfaites les conditions du bénéfice des moyens de défense qu’elle soulève contre une constatation d’infraction (CJUE, C-204/00 P e.a., Aalborg Portland e.a., § 78). Ces moyens comprennent, notamment, la contrainte étatique (TPICE, 7 oct. 1999, T-228/97, Irish Sugar, § 129) ou encore, spécifiquement dans le domaine de l’article 102 TFUE, la justification objective (CJUE, 27 mars 2012, C-209/10, Post Danmark, § 41).

La charge de la preuve est répartie de manière analogue dans le domaine du contrôle européen des concentrations. Selon l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n o 139/2004, la Commission doit établir que la réalisation de l’opération notifiée entraverait de manière significative une concurrence effective dans le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. En revanche, ce sont les parties notifiantes qui doivent démontrer l’existence de gains d’efficacité pouvant contrebalancer les effets anticoncurrentiels de l’opération (TUE, 9 mars 2015, T175/12, Deutsche Börse, §§ 61, 262,275).

Lorsque la partie qui supporte la charge objective de la preuve avance des éléments qui établissent à suffisance son allégation, elle transfère la charge subjective de la preuve à l’autre partie, qui est alors tenue de fournir une justification ou une explication. A défaut, il est permis de conclure que la première partie s’est acquittée de la charge qui lui incombait (CJUE, 7 janv. 2004, C-204/00 P e.a., Aalborg Portland e.a., § 79).

Deux mécanismes permettent d’alléger la charge subjective de la preuve afin de faciliter la mise en œuvre effective des règles de concurrence, d’accroître la prévisibilité et de mettre en balance les risques d’erreur de type I (faux positif) et de type II (faux négatif). Le premier mécanisme est, en substance, celui du faisceau d’indices. Il tient compte de la difficulté d’établir au moyen de preuves directes des ententes, dont les activités sont secrètes et les réunions clandestines. Il autorise notamment la partie qui allègue l’existence d’une entente de l’inférer d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent prouver une violation des règles de concurrence. La charge subjective de la preuve revient alors à l’autre partie, qui doit avancer pour ces indices et coïncides une explication alternative (CJUE, 7 janv. 2004, C-204/00 P e.a., Aalborg Portland e.a., §§ 55-57).

Le second mécanisme est celui des présomptions simples. Celles-ci permettent, sur le base du bon sens, de l’expérience ou de la théorie économique, de déduire d’un fait connu un fait inconnu ou une conclusion juridique. L’usage de présomptions est particulièrement fréquent dans quatre domaines :

 Caractère restrictif de concurrence : il est présumé notamment s’agissant (i) des comportements collusoires dont le caractère nocif est avéré et facilement décelable au vu de l’expérience acquise (AV. GEN. BOBEK, conclusions 5 sept. 2019, C-228//18, Budapest Bank, §§ 42-51), (ii) des rabais de fidélité (TUE, 26 janv. 2022, T286/09 RENV, Intel, § 124) ou encore (iii) des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables (CJUE, 2 avr. 2009, C- 202/07 P, France Télécom, § 109).

 Affectation du commerce interétatique : elle est présumée exister lorsque les pratiques litigieuses sont appliquées à l’ensemble du territoire d’un État membre (TPICE, 14 déc. 2006, T259/02 e.a., Raiffeisen Zentralbank Österreich) et faire défaut lorsque les parts de marché et les chiffres d’affaires des parties à ces pratiques n’excèdent pas les seuils prévus dans les lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce (2004/C 101/07).

 Participation à l’infraction : est présumée avoir pris part à des accords ou à des pratiques anticoncurrentielles conclus lors d’une réunion l’entreprise qui a participé à cette dernière sans manifester son opposition (CJUE, 7 janv. 2004, C-204/00 P e.a., Aalborg Portland e.a., § 81).

 Responsabilité d’une société mère du fait du comportement de sa filiale : une société mère qui détient 100 % du capital de sa filiale est présumée exercer une influence déterminante sur le comportement de cette dernière et peut, en conséquence, se voir imputer les infractions aux règles de concurrence qu’elle a commises (CJUE, 10 sept. 2009, C97/08 P, Akzo Nobel e.a.,§ 63).

 

Bibliographie

A. Kalintiri, Evidence Standards in EU Competition Enforcement, Hart, 2019.

A.-L. Sibony et E. Barbier de La Serre, Charge de la preuve et théorie du contrôle en droit communautaire de la concurrence : pour un changement de perspective, RTDE 2007/2, pp. 205-252.

C. Ritter, Presumptions in EU Competition Law, Journal of Antitrust Enforcement 2018/6, pp. 189-212.

C. Volpin, The Ball is in Your Court : Evidential Burden of Proof and the Proof-proximity.

D. Bailey, Presumptions in EU Competition Law, European Competition Law Review 2010/9, pp. 362-369.

F. Castillo de la Torre et E. Gippini Fournier, Evidence, Proof and Judicial Review in EU Competition Law, Elgar, 2017.

Auteur

  • General Court of the European Union (Luxembourg)

Citation

Sven Frisch, Charge de la preuve, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 85883

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Dans toutes les procédures nationales et communautaires d’application des articles 101 et 102 du traité, la charge de la preuve d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, ou de l’article 102 du traité incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. En revanche, il incombe à l’entreprise ou à l’association d’entreprises qui invoque le bénéfice des dispositions de l’article 101, paragraphe 3, du traité d’apporter la preuve que les conditions de ce paragraphe sont remplies. © Article 2 du Règlement (CE) No 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité

 
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