L’application par la CEDH des droits protégés par la Convention au domaine du droit de la concurrence est passée principalement par le contrôle des sanctions adoptées par les autorités nationales de régulation. Lesdites autorités (administratives, publiques et indépendantes) relevaient en droit national d’un contentieux ni civil ni pénal au sens habituel de ces termes, ce qui paraissait interdire l’application du droit à un procès équitable prévu à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, qui stipule que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ».
Par suite, l’appréhension du droit de la concurrence par la jurisprudence de la CEDH a débuté par la requalification, par ladite Cour, de sanctions prises à l’encontre d’entreprises se voyant reprocher une pratique anticoncurrentielle, sanctions considérées par le droit national comme administratives, en sanctions pénales permettant d’entrer dans le domaine de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention. Ainsi, l’arrêt Engel e.a. c/ Pays-Bas du 23 novembre 1976 intervenu en matière disciplinaire va être rapidement utilisé dans le cadre des sanctions par les autorités de régulation (CEDH, 27 février 1992, Société Stenuit c/ France, n° 11598/85) dans le cadre du droit de la concurrence.
Dans une jurisprudence constante depuis lors, la CEDH rappelle qu’il faut, afin de déterminer l’existence d’une « accusation en matière pénale », avoir égard à trois critères : la qualification juridique de la mesure litigieuse en droit national, la nature même de celle-ci, et la nature et le degré de sévérité de la « sanction » (Engel e.a. c/ Pays-Bas, préc., pt 82). Ces critères sont par ailleurs alternatifs et non cumulatifs. Pour que l’article 6, paragraphe 1, s’applique au titre des mots « accusation en matière pénale », il suffit que l’infraction en cause soit, par nature, « pénale » au regard de la Convention, ou ait exposé l’intéressé à une sanction qui, par sa nature et son degré de gravité, relève en général de la « matière pénale ». Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une « accusation en matière pénale ». Cette requalification en sanction pénale d’une sanction analysée en droit national comme purement administrative permet par suite l’application à la procédure du droit à un procès équitable prévu à l’article 6, paragraphe 1, précité.
La CEDH a déjà jugé que l’article 6, dans son volet pénal, s’appliquait notamment pour les sanctions infligées en Italie par l’Autorité de régulation de la concurrence et du marché (Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato – AGCM) (CEDH, 27 septembre 2011, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c/ Italie, n° 43509/08), et la Commission nationale des sociétés et de la Bourse (Commissione Nazionale per le Società e la Borsa – CONSOB) (CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens e.a. c/ Italie, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10), et en France, la Cour de discipline budgétaire et financière (CEDH, 26 septembre 2000, Guisset c/ France, n° 33933/96), le Conseil des marchés financiers (CEDH, 27 août 2002, Didier c/ France, n° 58188/00), le Conseil de la concurrence (CEDH, 3 décembre 2002, Lilly France S.A. c/ France, n° 53892/00), la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (CEDH, 19 mai 2009, Messier c/ France, n° 25041/07), la Commission bancaire (CEDH, 11 juin 2009, Dubus S.A. c/ France, n° 5242/04). La CEDH a aussi appliqué auxdites autorités l’article 6, paragraphe 1, sous son volet civil. Là encore, il ne s’agit pas d’un renvoi au droit national, mais à une notion interprétée de façon autonome par la Cour.
Si la procédure menée à l’encontre d’une décision d’une autorité de régulation relève bien de l’article 6, paragraphe 1, le contrôle exercé par la CEDH sur la décision attaquée s’effectuera en deux temps : la sanction prise par ladite autorité devra être contrôlée par un tribunal offrant les garanties au sens de l’article 6 de la Convention (c’est-à-dire indépendant et impartial), d’une part, et ce tribunal devra exercer un contrôle de pleine juridiction au sens de la jurisprudence de la CEDH, d’autre part.
La décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions de l’article 6 doit pouvoir être soumise au contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction. La CEDH définit la caractéristique d’un organe judiciaire de pleine juridiction de la manière suivante : pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par ladite autorité, autorité qui doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont elle se trouve saisie.
Concernant les perquisitions ou visites et saisies opérées dans les locaux d’une société commerciale, la CEDH a jugé qu’elles peuvent porter atteinte aux droits protégés par l’article 8 de la Convention (CEDH, 16 avril 2002, Société Colas Est e.a. c/ France, n° 37971/97, et 15 juillet 2003, Ernst e.a. c/ Belgique, n° 33400/96). De même la fouille et la saisie de données électroniques s’analysent comme une ingérence dans le droit au respect de la « vie privée » et de la « correspondance » au sens des stipulations de l’article 8 (CEDH, 2 avril 2015, Vinci Construction et GTM génie civil et services c/ France, no° 63629/10 et 60567/10). Une telle ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, elle est « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de l’article 8 et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. S’agissant des visites domiciliaires et des saisies, la CEDH recherche si la législation et la pratique internes offraient des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire (CEDH, 25 février 1993, Funke c/ France, n° 10588/83 ; Société Colas Est e.a. c/ France, préc.), notamment s’il existe un « contrôle efficace » des mesures attentatoires à l’article 8 de la Convention.
Enfin, le droit de la concurrence est l’un des domaines majeurs de l’application de la jurisprudence de la CEDH relative au principe du non bis in idem (CEDH, 15 novembre 2016, A et B c/ Norvège, n° 24130/11 et 29758/11) (art. 4 du prot. n° 7 : « 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État. »)