C’est dans le contexte des accords de normalisation, qui ont pour objectif premier la définition d’exigences techniques ou d’exigences de qualité, qu’a émergée la notion de brevet essentiel à une norme (BEN). Or, dans ce contexte, un brevet essentiel peut susciter des préoccupations concurrentielles.
Une entreprise qui participe à un processus de normalisation et qui détient des brevets essentiels aux fins de la mise en œuvre de la norme peut en effet acquérir, en vertu de ses droits de propriété intellectuelle, le contrôle de l’utilisation de cette même norme. Le statut de brevet essentiel à une norme emporte donc deux conséquences : d’une part, le titulaire peut exclure l’apparition ou le maintien sur le marché des concurrents et, d’autre part, il peut se réserver la fabrication de ces produits et faire levier sur un marché aval (Huawei, préc.)
C’est pourquoi, pour bénéficier d’un a priori favorable au regard de l’article 101 TFUE, les participants qui souhaitent voir leurs droits de propriété intellectuelle inclus dans la norme doivent s’engager de manière irrévocable et par écrit à accorder des licences concernant leurs droits de propriété intellectuelle dits « essentiels » à l’ensemble des tiers, dans des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (« engagement FRAND »).
Les brevets essentiels peuvent également être le support de comportements susceptibles de violer les articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE. Plusieurs pratiques peuvent ainsi être distinguées.
La pratique dite du hold-up, d’abord, lorsque l’entreprise titulaire de la technologie intégrée à la norme revient sur ses déclarations et ne respecte pas les conditions auxquelles elle s’était engagée. Le hold-up consiste donc, pour les titulaires d’une technologie normalisée, à demander des redevances excessives parce que le passage à une autre technologie de remplacement devient trop onéreux pour les tiers. Ils élèvent alors les prix a posteriori en sachant que les entreprises n’auront d’autre choix que de payer les redevances.
La stratégie de l’ « embuscade de brevet », ensuite, découle d’un comportement de dissimulation de l’existence des droits de propriété intellectuelle. Tel fut par exemple le cas dans l’affaire Rambus (v. Comm. CE, MEMO/07/330 du 23 août 2007, Antitrust : Commission confirms sending a Statement of Objections to Rambus). Ici, c’est après l’adoption de la norme que l’entreprise demande des redevances. Les conséquences d’une embuscade de brevet sont doubles. Elle produit, en premier lieu, des effets assez similaires à ceux du hold-up en termes de captation de redevances excessives. Cette pratique biaise, en second lieu, le processus de normalisation. L’embuscade permet de « forcer », par une dissimulation de droits, l’intégration de sa technologie dans la norme en laissant croire aux parties qu’elles n’auront pas à payer de redevances.
Dans un autre cas, c’est davantage le refus de contracter et l’usage abusif de procédures, couplés à un engagement FRAND, qui peut être en cause. Dans l’affaire Huawei, se posait la question de savoir dans quelle mesure une action en contrefaçon portant sur brevet essentiel à une norme pouvait être qualifiée de comportement abusif au sens de l’article 102 TFUE. Selon la Cour de justice, étant donné qu’un engagement de délivrer des licences à des conditions FRAND crée des attentes légitimes auprès des tiers, un refus du titulaire d’un brevet essentiel d’octroyer une licence à ces mêmes conditions peut constituer, en principe, un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE.
Pour autant, la Cour pose plusieurs conditions permettant d’éviter que cette action en contrefaçon ne soit abusive : premièrement, l’action ne peut pas être introduite sans que le titulaire n’ait averti le contrefacteur. Deuxièmement, si le contrefacteur allégué a exprimé sa volonté de conclure un contrat aux conditions FRAND, le titulaire du brevet essentiel doit lui transmettre une offre écrite répondant à ces conditions FRAND. Il incombe, dès lors, au contrefacteur de donner suite à cette offre de bonne foi ou de proposer une contre-offre, et, si cette contre-offre n’est pas acceptée, de constituer une sureté et d’opérer un décompte des actes s’il utilise la technologie brevetée (Huawei, préc.).
Tenant compte de ces difficultés l’Union européenne a défini des priorités en la matière, parmi lesquelles la transparence en matière d’informations relatives à l’exposition aux brevets essentiels à une norme, la clarté concernant les technologies brevetées, et le respect des droits. Elle a également proposé des « principes clés » pour stimuler le développement et l’intégration des technologies et assurer aux titulaires de brevets essentiels un bénéfice adéquat et équitable (v. la définition de l’approche de l’Union en ce qui concerne les brevets essentiels à des normes, COM(2017) 712 final).