Les premières affaires de « blockchain antitrust » concernent l’intérieur de la blockchain. Dans Gallagher v. Bitcointalk.org (2019), un développeur demandait compensation après avoir été évincé d’un forum populaire dans l’écosystème. Il dénonçait une stratégie visant à l’empêcher de contacter d’autres développeurs et, à moyen terme, d’introduire une nouvelle blockchain qui fasse concurrence au Bitcoin. Le moyen introduit au titre de la section 2 du Sherman Act fut finalement rejeté faute d’avoir pu démontrer le caractère anti-concurrentiel de la décision d’éviction.
Dans United American v. Bitmain (2021), un groupe d’utilisateur de la blockchain Bitcoin Cash ABC demandait compensation au titre de la Section 1 du Sherman Act. Ces utilisateurs se plaignaient du fork réalisé par d’autres utilisateurs, c’est-à-dire, de la duplication de la blockchain afin d’assigner des nouvelles règles de fonctionnement. La demande fut finalement rejetée faute d’avoir pu prouver une intention anticoncurrentielle.
Dans Leibowitz v. iFinex (en cours), une action de groupe a été introduite afin de dénoncer les pratiques de la blockchain Tether et de l’échange Bitfinex. Les créateurs de Tether sont accusés d’avoir enfreint la section 2 du Sherman Act en abusant de leur position dominante sur le supposé marché des stablecoins (coins ou tokens dont la valeur est liée à un actif en dehors de la blockchain). Les plaignants dénoncent la mise en circulation de Tether afin d’éliminer les autres stablecoins alors que ces Tether n’étaient pas assurés par une réserve suffisante. Bitfinex aurait dans le même temps aidé cette pratique en permettant l’échange de Tether avec d’autres cryptomonnaies, enfreignant ainsi la section 1 du Sherman Act. Les plaignants demandent une compensation s’élevant à trois fois le montant du préjudice supposément subi, soit 466 milliards de dollars multipliés par trois – environ 1 400 milliards de dollars.
Plusieurs enseignements se dégagent de ces premières affaires. Premièrement, des connaissances techniques sont nécessaires afin d’appréhender les tenants et aboutissants des affaires antitrust dans l’écosystème. Deuxièmement, ces affaires concernent des blockchains dites de « niveau 1 », c’est-à-dire des bases de données décentralisées, distribuées et cryptées. Le contentieux antitrust de ces récentes années concerne peu les applications blockchain telles que les smart contracts ou le web 3.0. Troisièmement, ces affaires donnent un aperçu de l’importance économique des enjeux liés à la blockchain. Plusieurs dizaines de millions de transactions blockchain sont ordonnées chaque jour (pour un aperçu partiel, v. https://etherscan.io et https://www.bscscan.com). Dans ce contexte, il est important que les blockchains demeurent libres de pratiques anticoncurrentielles qui affecteraient de fait l’ensemble des transactions ordonnées à des niveaux supérieurs. « m »