Barrière à l’entrée et politique de la concurrence
Le concept de barrière à l’entrée joue un rôle décisif dans l’analyse concurrentielle. Les autorités de concurrence considèrent par exemple que pour limiter voire empêcher l’exercice du pouvoir de marché, l’entrée doit être rapide (moins de deux ans), probable (profitabilité de l’entrée), et suffisante (empêche la firme établie de renforcer son pouvoir de marché) (OECD, 2005).
La considération des barrières à l’entrée apparaît essentielle dans la politique du contrôle des concentrations. En effet, des barrières à l’entrée faibles peuvent réduire les effets unilatéraux issus d’une concentration, en ce sens qu’elles limitent la capacité des firmes à augmenter les prix après que celle-ci soit réalisée (Motta, 2004). Les lignes directrices sur les concentrations en Europe et aux Etats-Unis (EU Merger Regulation, 2004 ; US Merger Guidelines, 2010) prennent d’ailleurs en compte l’impact de l’entrée lors de l’évaluation de l’effet d’une concentration.
Barrière à l’entrée dite « structurelle »
Ce type de barrière est liée au secteur considéré (e.g., coûts, demande, technologie). Citons-en quelques-unes.
Coût irrécouvrable : ce coût subi est nécessaire pour entrer sur le marché et n’est pas récupérable à la sortie du marché (indépendant du niveau et de la durée de la production). Ce coût est typiquement présent dans les industries de réseau.
Economies d’échelle : elles sont la résultante de la présence de coûts fixes (bâtiments, équipements). Comme le coût moyen diminue à mesure que la production augmente, une firme entrante aura besoin d’entrer sur le marché avec de grands volumes pour être viable face à un concurrent établi.
Exigence de capitaux : souvent associés aux coûts irrécouvrables, une exigence de capitaux élevés peut limiter l’entrée de concurrents sur le marché.
Contraintes juridiques et réglementaires : les restrictions issues de la régulation peuvent restreindre l’entrée sur le marché. Par exemple, les marchés de taxis sont souvent régulés avec une limite à l’octroi de nouvelles licences. Un autre exemple est la sévérité de la politique du contrôle des concentrations qui peut dissuader l’entrée sur un marché, car élevant les barrières à la sortie de celui-ci (Mason & Weeds, 2013).
Barrière à l’entrée dite « stratégique » ou « comportementale »
Ce type de barrière fait référence aux stratégies des firmes établies pour préserver ou augmenter leur pouvoir de marché en dissuadant l’entrée de concurrents.
Accords de reports d’entrée : ils peuvent porter sur les brevets et être considérées comme des barrières à l’entrée (Hatton et al., 2020).
Forclusion : cet acte désigne le plus souvent la restriction d’accès à une ressource essentielle de la part de la firme établie, ce qui bloque l’entrée sur le marché.
Clauses contractuelles (e.g., discriminatoires et d’exclusivité) : ces clauses peuvent restreindre l’entrée effective de concurrents et coïncident souvent avec un abus de position dominante de la firme établie.
Contrats de long terme : ils peuvent limiter la migration de consommateurs vers des contrats concurrents, ce qui réduit la profitabilité de l’entrée (e.g., contrats dans les télécoms et l’énergie).
Barrière à l’entrée et marchés numériques
L’effet de réseau est une barrière à l’entrée structurelle, qui est devenue capitale sur les marchés numériques. Cette barrière implique plusieurs effets : effets de verrou, de renversement, et du « vainqueur qui remporte tout ». Une autre barrière structurelle est celle des données. En effet, l’exploitation des données permet de fournir des produits personnalisés aux consommateurs. En plus d’alimenter les effets de réseau, l’exploitation des données implique des effets d’échelle et d’envergure, ce qui renforce la position de marché de la firme établie. Les données peuvent d’ailleurs devenir une ressource essentielle que les entrants pourront difficilement reproduire.
La vente liée est une barrière à l’entrée stratégique, très prégnante dans les marchés numériques caractérisés par des écosystèmes de produits et services complémentaires (e.g., Google, Amazon). La discrimination par les prix liée aux données est une autre barrière stratégique, en ce sens que, grâce aux algorithmes et au big data, la firme établie peut mieux cibler les consommateurs et leur faire des offres intéressantes.
En remarque, l’appréciation des barrières à l’entrée sur les marchés numériques devrait connaître des évolutions, ces marchés connaissant un rythme d’innovation rapide.