Cette vision irénique de l’histoire de l’autonomie procédurale doit être nuancée au vu de l’évolution de la jurisprudence et de la législation européennes. Il y a eu des tensions. Force est de constater l’érosion progressive du principe d’autonomie procédurale par la conjonction – d’une jurisprudence européenne tendant à réduire le champ dans lequel le principe aurait pu se déployer, – d’une législation européenne tentaculaire. Ainsi des pans entiers du droit processuel français ont-ils basculé dans le giron européen : tel est le cas des enquêtes, des règles relatives à la prescription, à la preuve des pratiques anticoncurrentielles, celles gouvernant les sanctions civiles et administratives ou encore de celles régissant les procédures alternatives ou accessoires aux sanctions comme les engagements des entreprises ou la clémence, ou encore de l’accès aux documents issus de la procédure concurrence dans le cadre d’un procès civil.
La « directive dommages » du 26 novembre 2014 prévoit ainsi un ensemble de règles destinées à améliorer l’indemnisation des victimes de pratiques anticoncurrentielles ayant subi un préjudice, tout en s’efforçant d’assurer un équilibre entre les impératifs du public et du private enforcement.
Dans cette perspective, l’accès élargi des victimes aux preuves s’accompagne d’une indisponibilité de certaines pièces de la procédure de clémence et de transaction.
“Public enforcement” désigne les actions de mise en œuvre des règles de concurrence par la Commission, sous le contrôle du Tribunal de l’Union et de la Cour de justice. Les procédures de sanction en cas d’infraction aux règles de concurrence peuvent aboutir à l’infliction d’une amende ou d’injonctions de faire ou de ne pas faire.
En revanche, la défense des intérêts privés, et non plus de la concurrence elle-même, relève du “private enforcement” dont les règles sont précisées dans cette directive dommages.
Le principe d’autonomie procédurale demeure en ce qui concerne les questions laissées de côté par la Directive Dommages, mais sous la réserve que les impératifs d’équivalence et d’effectivité soient préservés.
La directive ECN+ du 18 décembre 2018, quant à elle, complète et achève le dispositif mis en place par le Règlement 1/2003 avec le Réseau européen de concurrence. Elle ouvre pour les autorités nationales de concurrence la possibilité de prononcer des injonctions structurelles dans le cadre de procédures contentieuses concernant des pratiques anticoncurrentielles, de rejeter les saisines ne correspondant pas aux priorités de l’institution (opportunité des poursuites) ou de se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires.
Le principe d’autonomie procédurale et sa légitimité doivent s’apprécier dans le cadre de la Charte des droits fondamentaux et des principes généraux de l’Union européenne.
Dans ce cadre international et avec ces exigences, il serait regrettable de se priver de la richesse du droit processuel français dont les juristes anglo-saxons eux-mêmes reconnaissent, pour l’avoir éprouvée, l’efficacité. Ainsi en est-il de la procédure de l’article 145 CPC.
La Cour de cassation rappelle avec constance la pertinence et l’importance du principe d’autonomie procédurale comme en témoignent les arrêts rendus à l’occasion de décisions du Conseil de la Concurrence et plus récemment de demandes de clémence.
De même le Conseil d’État, dans le respect des principes d’effectivité et d’équivalence, a-t-il favorisé un dialogue des juges permettant de concilier l’office du juge administratif comme juge national et comme juge de droit commun du droit de l’Union notamment par la pratique du renvoi préjudiciel et par la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
L’article 267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit en effet une obligation de renvoi pour les juridictions suprêmes. Mais celles-ci se sont reconnu un pouvoir d’interprétation des textes de l’Union européenne et ne procèdent au renvoi préjudiciel qu’en cas de difficulté sérieuse. Le Conseil d’État a ainsi consacré la théorie de l’acte clair selon laquelle il peut lui-même interpréter une norme européenne lorsque cette interprétation ne pose pas de difficulté réelle (CE, 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berre, n° 47 007). Le même raisonnement a été adopté par la Cour de cassation (Cass, 1ère civ., 19 décembre 1995, Banque africaine de développement, n° 93- 20424).