Groupe d’entreprises et conglomérats

 

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Premier aperçu

Un « groupe d’entreprises » est un ensemble d’entreprises présentant des liens économiques, capitalistiques et/ou juridiques entre elles et sur lequel s’exerce, de façon directe ou indirecte, en droit ou en fait, un contrôle. Le groupe d’entreprises ne constitue pas nécessairement une unité économique (la Cour a pu le préciser pour des situations particulières telles que celle d’une infraction commise par une nouvelle filiale avant son acquisition par la société mère ; CJUE, 4 septembre 2014, YKK e.a. c/ Commission, aff. C-408/12 P, pts 56 à 60) pour l’application du droit de la concurrence. Un « conglomérat » est un type de groupe d’entreprises au sein duquel traditionnellement les activités des différentes entités s’exercent sur des marchés distincts sans liens apparents entre eux. Les conglomérats technologiques sont une forme particulière de conglomérat ayant émergé du fait de la numérisation de l’économie et dont l’une des caractéristiques est de détenir, collecter, agglomérer, croiser et créer au bénéfice de l’ensemble une multitude de données de nature à faciliter plus encore l’extension du groupe à d’autres activités numérisées.

 

Pour aller plus loin

La qualification de groupe d’entreprises emporte de nombreuses conséquences à la fois procédurales et de substance en droit européen de la concurrence.

En matière de contrôle des concentrations, la Commission définit dans sa communication consolidée le groupe d’entreprises comme l’ensemble des entreprises visées à l’article 5§4 du règlement relatif au contrôle des concentrations soit l’ensemble des entreprises avec lesquelles l’entreprise concernée par l’opération présente des liens de contrôle ascendants ou descendants, directs ou indirects, en fait ou en droit.

Au stade de l’examen de la compétence juridictionnelle, le franchissement des seuils européens et français s’apprécie en considération du chiffre d’affaires consolidé comprenant l’ensemble des entités faisant l’objet d’un contrôle (la même solution est retenue en droit français). S’agissant de l’analyse concurrentielle, seules entreront en ligne de compte les activités conduites par des entreprises contrôlées au sein du groupe, exclusivement ou conjointement, à l’exclusion de celles menées par des participations non contrôlantes. C’est encore au niveau du groupe auquel appartient l’entreprise concernée que les amendes infligées pour des pratiques de gun jumping ou pour la communication de renseignements erronés, inexacts ou incomplets sont calculées afin de refléter la puissance économique d’un ensemble.

En matière de pratiques anticoncurrentielles, la notion de groupe est au moins aussi centrale puisque c’est à travers son prisme que l’on examine l’inapplicabilité du droit de la concurrence à une entente intragroupe. C’est encore sur le terrain de l’imputabilité de l’infraction ou encore de la responsabilité de la société mère pour les infractions commises par ses filiales qui ne déterminent pas de façon autonome leur comportement sur le marché qu’elle est utilisée, de même pour le plafonnement des amendes infligées.

Dans un arrêt Sumal datant du 6 octobre 2021, la Cour de justice de L’Union a donné explicitement corps à l’existence d’un certain type de groupe d’entreprises : le conglomérat. Bien que la notion de conglomérat en tant que telle soit quasiment absente de la jurisprudence de la Cour de Justice et de la pratique décisionnelle de la Commission, il a toujours existé en droit de la concurrence la notion de « concentration conglomérale », correspondant à « des concentrations entre entreprises entretenant des relations qui ne sont ni purement horizontales (concurrents opérant sur le même marché en cause) ni verticales (fournisseurs ou clients) ». Le conglomérat était ainsi défini par une double négation.

De même, sans qualifier toute une opération de conglomérale, la Commission européenne a fréquemment visé dans ses décisions l’analyse de risques d’effets congloméraux. Le principal risque traditionnellement analysé d’un point de vue congloméral est celui du verrouillage résultant d’une combinaison de produits ou services liés qui permettrait à l’entreprise issue de l’opération d’être en capacité et d’avoir des incitations à occuper une position de marché importante sur un marché lié par effet de levier.

De tels risques sont généralement exclus par application d’une présomption traditionnelle selon laquelle, de tels effets congloméraux sont en général moins préjudiciables que les effets horizontaux et même verticaux. Ce n’est que dans quelques circonstances relativement exceptionnelles que de tels effets congloméraux potentiellement anticoncurrentiels ont pu être détectés et ont même donné lieu à des engagements de nature structurelle et quasi-structurelle.

La question peut se poser de savoir si cette présomption traditionnelle est pertinente s’agissant des conglomérats technologiques dont l’une des particularités est de procéder successivement à une multitude d’opérations « trampoline » qui ne seraient pas en soi problématiques mais dont l’appréhension globale montre qu’elles s’alimentent mutuellement en vue de renforcer l’avantage informationnel de ces groupes d’entreprises technologiques vis-à-vis des autres acteurs du marché, fournissant ainsi la capacité et l’incitation à verrouiller que l’analyse des risques d’effets congloméraux cherche précisément à éviter.

L’OCDE a pour sa part produit une définition économique du conglomérat mettant en exergue la diversité des activités menées par les entreprises, le caractère non lié de ces activités et la rationalité de la diversification. « A conglomerate is a firm or business enterprise having different economic activities in different unrelated industries. Conglomerate firms may emerge through mergers and acquisitions and/or investments across a diverse range of industries for a variety of reasons such as minimization of risk, increased access to financial and management resources, and more efficient allocation of resources  ».Il est intéressant d’observer que dans le cas des conglomérats technologiques d’autres ressorts de rationalité sont en cause en consideration de l’intérêt porté par l’utilisateur à un sujet et la source infinie d’opportunités d’entrée et d’expansion que cela représente dans une économie numérisée.

Dans son arrêt Sumal la Cour semble embrasser la définition proposée par l’OCDE en considérant les conglomérats comme des groupes d’entreprises « actifs dans plusieurs domaines économiques ne présentant aucun lien entre eux ». Il est souligné que les termes de « domaines économiques » plus larges et non celui de « marchés » sont utilisés par la Cour. Cette reconnaissance de l’existence d’une forme de conglomérat intervient pour caractériser la possibilité pour une filiale d’être tenue responsable des agissements anticoncurrentiels de sa société mère dans le cadre d’une action en réparation de dommages concurrentiels. La Cour précise à cet égard que tel peut être le cas, à condition toutefois que la filiale en question ait une activité en lien avec le domaine économique affecté par la pratique.

La reconnaissance de la spécificité du conglomérat par rapport à tout autre type de groupe d’entreprises dans la jurisprudence de la Cour est intéressante, pour ce qu’elle dit de la capacité du droit de la concurrence à périmètre constant à prendre en compte des réalités économiques complexes. Nul doute que dans les décisions de la Cour à venir, la nature particulière du conglomérat technologique pourra être appréhendée dans toute sa spécificité et sa rationalité économique.

 

Jurisprudences pertinentes

CJUE, 6 octobre 2021, Sumal c/ Mercedes Benz Trucks España, aff. C-882/19, EU:C:2021:800

CJUE, 4 septembre 2014, YKK e.a. c/ Commission, aff. C-408/12 P, EU:C:2014:2153

CJCE, 10 septembre 2009, Akzo Nobel, aff. C-97/08 P, EU:C:2009:536

CJCE, 24 octobre 1996, Viho Europe, aff. C-73/95 P, EU:C:1996:405

CJCE, 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries, aff. 48/69, EU:C:1972:70

Comm. eur., déc. C(2016) 2470 final du 20 avril 2016, Worldline / Equens / Paysquare, aff. M.7873

 

Bibliographie

Aut. conc., « Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations », 2020

Communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, JOUE no C 43 du 2 février 2009, p. 10

Comm. CE, Lignes directrices sur l’appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, JOUE no C 265 du 18 octobre 2008, p. 6

Règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (« le règlement CE sur les concentrations »), JOUE no L 24 du 29 janvier 2004, p. 1

Auteur

Citation

Fayrouze Masmi-Dazi, Groupe d’entreprises / conglomérats, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86584

Visites 1970

Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

(...) distinction entre groupes de sociétés et groupes économiques en suggérant que les groupes de sociétés se réfèrent à un ensemble de relations plus formelles (juridiques) impliquant généralement une société holding ou de contrôle et ses filiales ; tandis qu’un groupe économique peut impliquer des entreprises qui peuvent être sans lien de finalité et ne pas être formellement liées, mais qui sont néanmoins liées par un contrôle commun. (...) les régulateurs ont clairement indiqué que les définitions et les termes utilisés pour les groupes diffèrent sensiblement d’une juridiction à l’autre. Les normes internationales d’information financière (IFRS) parviennent à éviter ce problème de définition en appliquant leurs exigences en matière de dépôt de comptes consolidés à un groupe d’entreprises contrôlées par une autre entité ou par des personnes liées entre elles. Dans ce contexte, "le contrôle est présumé lorsque la société mère acquiert plus de la moitié des droits de vote de l’entité. Même lorsque plus de la moitié des droits de vote n’est pas acquise, le contrôle peut être attesté par le pouvoir : sur plus de la moitié des droits de vote en vertu d’un accord avec d’autres investisseurs ; ou de diriger les politiques financières et opérationnelles de l’entité en vertu d’un statut ou d’un accord ; ou de nommer ou de révoquer la majorité des membres du conseil d’administration ; ou d’exprimer la majorité des voix lors d’une réunion du conseil d’administration". © OECD

 
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