• La Commission européenne, amicus curiae
En droit européen, la fonction d’amicus curiae puise dans le principe de coopération loyale entre l’Union et les États membres (art. 4 TFUE et arrêt Delimitis, CJUE 28 fév. 1991). Elle se justifie en droit de la concurrence par la technicité de la matière et la complexité des analyses économiques requises, et ce dans différents domaines.
En droit des pratiques anticoncurrentielles, la procédure d’amicus curiae a été formalisée par le règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002 (article 15), complété par la Communication n°2004-C 101 du 27 avril 2004 sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales. Elle se décline en trois formes.
Les deux premières formes sont à l’initiative des juges. Ceux-ci peuvent, d’une part, solliciter des informations, d’ordre procédural notamment, qui sont en la possession de la Commission (art. 15 §1 du règlement ; § 21 et 22 de la communication). Ils peuvent, d’autre part, solliciter son avis sur des questions économiques, factuelles ou juridiques relatives à l’application des règles européennes de concurrence (art. 15 § 2). L’information est supposée transmise dans le mois qui suit la demande, et l’avis dans les quatre mois. Dans les deux cas, le cadre procédural applicable est national et c’est lui qui garantit le respect du contradictoire (art. R.470-3 du code de commerce). Ces deux dispositions sont peu sollicitées (V. cependant l’affaire Bottin cartographes).
La troisième incarnation de l’amicus curiae est la plus intéressante et la plus vigoureuse. Elle permet à la Commission de soumettre spontanément au juge des observations, écrites ou orales, cette dernière hypothèse étant cependant subordonnée à l’accord de la juridiction concernée (art. 15 §3). Cette intervention est subordonnée à la démonstration que l’application cohérente de l’article 101 ou 102 du traité l’exige, condition interprétée avec souplesse par la Cour de Justice (arrêt XBV). De 2006 à 2022, la Commission a usé 20 fois de cette possibilité.
Différents principes gouvernent cette assistance. La Commission doit en premier lieu respecter l’indépendance des juridictions. C’est pourquoi ses observations et avis ne lient pas le juge, à la différence des interprétations rendues par la Cour dans le cadre du renvoi préjudiciel. Ces procédures sont d’ailleurs complémentaires et ne s’excluent pas mutuellement. La Commission doit par ailleurs rester neutre et objective et ne pas servir les intérêts des parties visées par le litige, qu’elle ne saurait donc entendre. Elle doit par enfin garantir le respect du secret professionnel et préserver son fonctionnement et sa propre indépendance.
Il existe de beaux exemples d’interventions spontanées de la Commission. En France, la Commission est par exemple intervenue devant la Cour de cassation pour préciser la notion d’affectation sensible du commerce entre États membres dans l’hypothèse d’une entente régionale (affaire Total Réunion). Elle est également intervenue devant la Cour d’appel de Paris pour soutenir la qualification en restriction caractérisée de l’interdiction aux ventes en ligne dans le cadre des contrats de distribution sélective (affaire Pierre Fabre).
Aujourd’hui, l’épanouissement du contentieux subjectif ouvre un nouveau champ d’intervention à cette fonction. La directive 2014/104 du 26 novembre 2004 prévoit en son article 16, que « La Commission délivre à l’intention des juridictions nationales des orientations sur la façon d’estimer la part du surcoût qui a été répercutée sur les acheteurs indirects ». Plus généralement, on peut considérer que la publication de nombreux textes de soft law à destination des juges participe de cette mission (Quantification du préjudice 2013 ; Estimation de la part du surcoût répercutée sur les acheteurs indirects 2019 ; Protection des informations confidentielle 2020).
En droit des aides d’Etat, une mission d’amicus curiae a également été reconnue à la Commission (art. 29 du règlement de procédure 2015/1589). Elle répond aux mêmes principes et prend les mêmes formes que celles prévues en droit des pratiques anticoncurrentielles : réponses à des demandes d’informations et d’avis émanant des juges (art. 29§1) et production d’observations écrites ou orales de sa propre initiative (art. 29§2). La procédure d’amicus curiae dans ce domaine a été explicitée par une Communication du 30 juillet 2021 relative à l’application des règles en matière d’aides d’État par les juridictions nationales (JOUE C 305/01). La Commission use régulièrement de son pouvoir d’intervention, puisqu’on dénombre dix présentations d’observations pour la période 2014-2020.
Notons que la Commission peut également produire des observations devant d’autres Cours. Elle a ainsi plusieurs fois produit des observations devant des tribunaux américains (New York, Columbia…) ou devant des cours et tribunaux arbitraux.
• Les autorités nationales de concurrence, amici curiae
Les autorités nationales de concurrence ont également une mission d’éclairage et de soutien vis-à-vis du juge. En France, l’article L. 462-3 du code de commerce prévoit la possibilité pour les juridictions, administratives et judiciaires, de consulter pour avis l’Autorité de la concurrence sur les pratiques anticoncurrentielles définies aux articles L .420-1 et suivants du même Code, ainsi qu’aux articles 101 et 102 TFUE. Elles en font un usage parcimonieux.
Le texte prévoit que l’Autorité ne peut donner un avis, lequel ne lie pas la juridiction, qu’après une procédure contradictoire. Il est à noter que l’Autorité est dans ce cadre autorisée à qualifier les faits, ce que ne peut pas faire la Commission européenne.
Notons qu’en droit national également, le développement des actions indemnitaires a vocation à amplifier le rôle d’amicus curiae imparti à l’Autorité : outre les règles gouvernant désormais la communication au juge civil d’informations issues des dossiers de l’Autorité (art. L. 483-1 à 11 du code de commerce), la directive 2014/104 prévoit, à l’instar de l’obligation pesant sur la Commission, qu’une autorité nationale de concurrence doit pouvoir, « à la demande d’une juridiction nationale, aider ladite juridiction nationale en ce qui concerne la quantification du montant des dommages et intérêts lorsque cette autorité nationale de concurrence estime qu’une telle aide est appropriée » (art. 17.3).