Amende

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Les amendes irriguent tant le droit de la transparence des relations commerciales, que celui des pratiques restrictives de concurrence ou anticoncurrentielles. Qu’elles soient pénales, administratives ou civiles, toutes ces amendes peuvent dans une certaine mesure être assimilées, en ce qu’elles ne sont pas versées à la victime, mais au Trésor public ou plus largement à l’État, et qu’elles relèvent, sous l’impulsion de la jurisprudence européenne et constitutionnelle, de la « matière pénale ». La qualification de « peines » ou de « sanctions répressives ayant le caractère d’une punition  » leur est rattachée, de sorte qu’elles sont soumises à certains principes généraux ou garanties processuelles du droit répressif, quoiqu’avec quelques atténuations parfois, tels que la présomption d’innocence, la légalité des délits et des peines, la personnalité, proportionnalité ou nécessité des peines et la non-rétroactivité in mitius. Cela étant, seules sont abordées ici les amendes pénales et administratives, les amendes civiles faisant l’objet d’une définition distincte. Malgré leur nature analogue, un large mouvement de dépénalisation agite néanmoins ces amendes, qui se double d’une « administrativisation » de celles-ci, si l’on peut dire.

Les amendes pénales, en premier lieu, tendent en effet à se réduire à peau de chagrin, puisqu’elles se cantonnent à la répression des seules personnes physiques ayant pris une part personnelle, déterminante et frauduleuse dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre d’une entente, d’un abus de position dominante ou de dépendance économique (art. L. 420-6 C. com.). Quant à la transparence et aux pratiques restrictives de concurrence, nouvellement dénommées pratiques commerciales déloyales entre entreprises, elles tombent dans une large mesure sous le coup de sanctions civiles depuis la LME n° 2008-776 du 4 août 2008 et de sanctions administratives depuis la loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014. Ici également, les amendes pénales ont été réduites à leur portion congrue depuis la dépénalisation des règles relatives aux délais de paiement et à la facturation à la faveur de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, si bien que ne subsiste que la répression de la revente à perte (art. L. 442-5 C. com.), des prix minima imposés (art. L. 442-6 C. com.), du paracommercialisme (art. L. 442-10 C. com.), de la hausse ou baisse artificielle de prix à l’occasion d’enchères à distance (art. L. 442-9 C. com.) et, de manière plus marginale, des opérations promotionnelles sur les produits alimentaires (art. L. 443-1 C. com.). Mais la mise en œuvre de ces amendes apparaît assez limitée (V. les bilans annuels de la jurisprudence civile, administrative et pénale établis par la DGCCRF).

Les amendes administratives, en second lieu, s’articulent autour de deux axes :

Elles visent, d’une part, à sanctionner les manquements aux règles sur la transparence de la relation commerciale. Suivant le mouvement d’« administrativisation » des sanctions évoqué plus haut, l’administration étend sa sphère d’influence, se voulant ainsi en quelque sorte juge et partie, par l’édiction, en amont, d’amendes administratives toujours plus nombreuses passant par le canal des ordonnances souvent rédigées par le ministère de l’Économie et, en aval, par leur prononcé par la DGCCRF, bras armé de ce même Ministère. Ainsi les manquements sont-ils recherchés et constatés, puis les amendes infligées par les agents de la DGCCRF selon les modalités prévues par les art. L. 470-1 et -2 C. com., le tout néanmoins sous le contrôle des juridictions de l’ordre administratif. Ceci étant précisé, les amendes administratives sont, en ce domaine, de trois ordres :

Elles sanctionnent, d’abord, le non-respect de la règlementation relative au formalisme contractuel et concernent les CGV (art. L. 441-1, IV et L. 441-1-1 in fine C. com.), les conventions écrites (art. L. 441-6, -7, VI C. com.), la clause de renégociation (art. L. 441-8 in fine C. com.) ; en particulier pour les contrats portant sur des produits agricoles ou alimentaires, elles visent, pêle-mêle, les rabais, remises et ristournes et les services de coopération commerciale (art. L. 443-2, III C. com.), les bons de commande (art. L. 443-3 in fine C. com.), les indicateurs de référence pour la détermination du prix (art. L. 443-4, II C. com.), l’annulation de commande (art. L. 443-5 C. com.), la protection du secret des affaires (art. L. 443-6 C. com.), le refus de confirmer par écrit le contrat (art. L. 443-7 C. com.) ou encore la convention écrite (art. L. 443-8, VII C. com.).

La facturation, ensuite, après avoir été longtemps le réceptacle de sanctions pénales (anc. art. L. 441-4 et -5 C. com.), est, depuis l’ordonnance précitée, l’un des nouveaux bastions des amendes administratives (art. L. 441-9, II C. com.).

Il en va de même, enfin, des délais de paiement interentreprises, pour lesquels les amendes pénales ont cédé le pas à des amendes administratives, qui n’ont eu de cesse d’affermir leur emprise depuis la loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014 (art. L. 441-16 C. com.) et ce, malgré la grande instabilité qui caractérise ces règles maintes fois remaniées, mais aussi en dépit des tentatives, en vain, de remise en cause de la constitutionnalité ou de la conventionnalité du dispositif (Cons. const., déc. n° 2014-690 DC, 13 avr. 2014 ; TA Lyon, 8 févr. 2018, n° 1509724, Casino ; Paris, 9 oct. 2018, n° 1709708, Climespace). La mainmise de telles amendes s’accompagne, par suite, d’une intensification des contrôles de l’administration à tous les stades de la procédure, allant de la recherche des manquements au prononcé de la sanction par les services de la DGCCRF, assortis de leur publication systématique selon la pratique dite du « name and shame », autrement dit de la mise au pilori des mauvais payeurs, renforçant ainsi la dimension préventive et dissuasive de ses actions (art. L. 470-2, V, al. 2, et R. 470-2, III, al. 1er C. com.). Toujours est-il que la détermination du montant de ces amendes a été récemment précisé selon des modalités présentées plus bas (V. infra).

En définitive, les amendes administratives en matière de transparence de la relation commerciale brillent par leur absence d’homogénéité, leurs montants variant au gré des manquements qu’elles ont pour objet de sanctionner, allant de 15 000 à 2 millions d’euros, distincts pour les personnes physiques et morales, mais toujours doublés en cas de réitération, ce qui nuit à la lisibilité de cette matière.

Les amendes administratives visant, d’autre part, à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles – mais aussi l’inexécution d’injonctions ou d’engagements – sont prépondérantes, tant en droit européen qu’interne, au point que certains parlent d’« amendologie » (L. Idot, « Le Tribunal de L’Union se prononce pour la première fois sur la procédure de transaction », RDC 2015, n° 4, p. 928). Bien que le droit français évoque plutôt les « sanctions pécuniaires », celles-ci sont bien de nature administrative car prononcées par l’Autorité de la concurrence, laquelle est une Autorité administrative indépendante et non une juridiction (art. L. 461-1 C. com. ; Cass. 2e civ., 30 sept. 2021, nos 20-18302 et 20-18672 ; V. cep. pour l’Autorité polynésienne de la concurrence, 4 juin 2020, n° 19-13775). En outre, leurs montants très élevés infligés par cette autorité et la Commission européenne leur impriment une coloration quasi-pénale, qui les soumet aux principes généraux du droit répressif. Ces amendes poursuivent à ce titre une fonction punitive pour le passé, réprimant des pratiques consommées, mais aussi dissuasive pour l’avenir, déjouant leur réitération à la fois par l’entreprise poursuivie et les autres opérateurs tentés de s’engager dans des pratiques similaires qui bafoueraient les règles de concurrence, d’autant plus qu’elles sont associées elles aussi à des mesures de publicité selon le fameux « name and shame », ce qui représente un coût important en termes d’image et de réputation s’ajoutant à leur coût financier. Face aux gendarmes de la concurrence, les entreprises, plutôt que d’avoir à supporter de telles amendes, sont alors poussées à préférer les procédures négociées, à savoir prendre des engagements ou transiger, voire à s’auto-incriminer ou à dénoncer les cartels et coopérer pour prétendre à une immunité.

 

Pour aller plus loin

Deux matières méritent tout particulièrement quelques développements, dans lesquelles la méthode de détermination du montant des amendes administratives a été récemment refondue et précisée.

S’agissant de la sanction du non-respect des délais de paiement ou des clauses ayant pour effet de retarder abusivement leur point de départ (art. L. 441-16 C. com.), son plafond est parmi les plus élevés qui soient, ayant été rehaussé, par la loi Sapin II n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, à 75000 euros pour une personne physique et 2 millions pour une personne morale, ces maxima étant doublés en cas de réitération. Ainsi les sommes qu’écopent certaines entreprises explosent-elles depuis peu, atteignant des records comme 3,7 millions d’euros à l’encontre d’un opérateur de téléphonie mobile ou 2 millions pour une enseigne de la grande distribution (V. plus gén. les bilans établis par la DGCCRF, préc.). Une telle sévérité s’explique par l’enjeu majeur que représente la lutte contre les retards de paiement pour le bon fonctionnement de l’économie et la compétitivité des entreprises. De tels retards obèrent en effet la trésorerie de nombre de PME et sont à l’origine de leurs défaillances, voire menacent leur existence même, celles-ci étant dès lors obligées de recourir à des financements bancaires à court terme, auquel s’ajoute le risque d’« effet domino » sur tous les acteurs de la chaîne économique, l’auteur de délais de paiement excessifs bénéficiant, corrélativement, d’un crédit-fournisseur et d’un gain important en besoin de fonds de roulement.

Dans le silence des textes néanmoins, la DGCCRF a publié des lignes directrices destinées à éclairer non seulement le déroulement des enquêtes et des décisions de condamnation, soumis entre autres au contradictoire et à une obligation de motivation, mais aussi et surtout les critères dont elle tient compte lorsqu’elle évalue le montant des amendes administratives (Lignes directrices relatives à la détermination des sanctions pour dépassement des délais de paiement interprofessionnels, 2 déc. 2021 ; adde la fiche pratique relative à la règlementation des délais de paiement, févr. 2022). Bien que l’administration procède au cas par cas, conformément aux principes d’individualisation et de proportionnalité des peines, sous le contrôle des juridictions administratives (V. par ex. CAA Marseille, 14 juin 2021, n° 20MA01711 ; 11 oct. 2011, n° 19MA05488), elle opère, partant, une telle évaluation selon la méthodologie suivante :
 calcul du montant de base de l’amende équivalant au montant de la rétention de trésorerie générée par les retards de paiement des factures concernées, en additionnant les gains en besoin de fonds de roulement qui en sont issus ;
 ajustement compte tenu notamment de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise poursuivie, ainsi que de l’importance des retards en cause par rapport au délai légal applicable ;
 limitation au maximum légal, tel qu’indiqué précédemment, pouvant être majoré, jusqu’à être doublé, en cas de réitération ;
 prise en compte de la situation financière de l’entreprise, selon les liasses fiscales ou tout élément justificatif qu’elle fournit, permettant le cas échéant de réduire le montant envisagé en fonction de ses difficultés financières, outre qu’elle peut solliciter un étalement du paiement de l’amende.

Le mode de calcul des amendes administratives en matière de pratiques anticoncurrentielles est cette fois gravé dans le marbre de la loi. Ainsi dépend-il en droit français de critères désormais unifiés et alignés sur ceux pratiqués par la Commission européenne (affinés dans ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’art. 23, § 2, sous a), du Règlement n° 1/2003, 1er sept. 2006). La logique est celle d’une application déconcentrée du droit européen indifféremment par les autorités nationales ou la Commission, selon le principe de l’autorité « la mieux placée ». En cohérence avec les aspirations d’harmonisation de la directive ECN+ 2019/1 du 11 décembre 2018 pour une plus grande efficacité des pouvoirs de sanction dévolus aux autorités nationales de concurrence, lesquelles doivent être en capacité « d’infliger des amendes effectives, proportionnées et dissuasives aux [opérateurs] qui enfreignent  » les art. 101 et 102 TFUE (art. 13 dir.), la méthode d’appréciation sur laquelle reposent ces sanctions doit dès lors être unifiée. C’est chose faite depuis que l’Autorité de la concurrence a édicté un nouveau communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires le 30 juillet 2021, qui remplace le précédent du 16 mai 2011, et a mis à jour les critères lui permettant une telle détermination sous l’effet de l’adoption de nouvelles dispositions à l’art. L. 464-2 C. com. par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 transposant spécifiquement les art. 14 et 15 de la directive précitée. Elle y apporte au demeurant un certain nombre d’ajustements complémentaires, qui s’inspirent de sa propre pratique décisionnelle et de celle de la Commission, ainsi que de la jurisprudence des juridictions de contrôle.

L’ébullition actuelle des autorités européenne comme interne a donné lieu à une refonte à la fois des critères d’appréciation de l’amende et de ses plafonds. Certes au service d’une plus grande transparence pour les opérateurs sur leur modus operandi, leur permettant d’estimer un ordre de grandeur de la sanction encourue, ces éclaircissements impliquent néanmoins de jongler entre les textes et leur propre doctrine, outre qu’ils ne fournissent aucune formule magique ni même arithmétique, le montant d’une telle sanction étant quantifié au cas par cas conformément aux principes de nécessité et de proportionnalité. Toujours est-il que ces autorités opèrent généralement selon une méthode de calcul qui suit un raisonnement en trois étapes :

1- Montant de base de l’amende, à partir de la valeur des ventes liées à l’infraction, qui permet de proportionner son assiette à l’ampleur économique de celle-ci et au poids relatif de chaque acteur qui y a pris part, avec parfois quelques adaptations, notamment pour les marchés bifaces ou multifaces de l’économie numérique ou les appels d’offres ponctuels. Ce montant de base est par la suite fonction de :
 la gravité de la pratique en cause, dont les éléments constitutifs sont actualisés (par ex. la nature et les caractéristiques objectives de l’infraction ou des marchés en cause, ou bien les paramètres de concurrence affectés comme la diversité de l’offre, la qualité, l’innovation ou l’environnement, la politique de la concurrence étant ainsi « une sous-traitante du Pacte vert », ou encore les personnes touchées). Du reste, les pratiques les plus graves, comme les ententes horizontales ou les abus de position dominante, sont affectées, sur le modèle du « ticket d’entrée » du droit européen, d’un coefficient additionnel 15 et 25 % du montant de base. En d’autres termes, le simple fait pour une entreprise de participer à une entente pourra lui coûter en plus dans cette fourchette du bénéfice qu’elle réalise sur le produit concerné ;
 la durée de la pratique, qui est désormais un critère à part entière en droit français, avec un coefficient multiplicateur selon son nombre d’années ou prorata temporis. Par ailleurs, la notion de « dommage causé à l’économie », inconnue de la directive, a été supprimée, pour éviter toute confusion avec la réparation d’un dommage subi par la victime d’une pratique, régie par ailleurs – art. L. 481-1 et s. C. com.

2- Ajustements de ce montant de base propres à individualiser la sanction au regard de la situation de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient ou de celle de l’association d’entreprises (à l’endroit par ex. de chaque partie à une entente) :
 à la baisse du fait de circonstances atténuantes, dont la liste est enrichie (not. la bonne foi déduite de l’ignorance de la pratique, la passivité ou le suivisme d’une entreprise ayant fait office de « franc-tireur », la contrainte subie par elle ou le faible effet de la pratique, le fait que celle-ci ait été « autorisée, sollicitée ou encouragée  » par les pouvoirs publics, ou bien la coopération avec les autorités et la cessation de l’infraction dès les premières interventions de ces dernières) ;
 à la hausse du fait de circonstances aggravantes (not. la taille, la puissance économique ou les ressources importantes de l’acteur poursuivi, son rôle de meneur ou d’incitateur dans la conception ou la mise en œuvre de la pratique, la prise de mesures de contrainte ou de rétorsion afin de forcer d’autres à participer, ou lorsque les gains illicites sont supérieurs au montant de la sanction initialement envisagé). De plus, la réitération de la pratique, pouvant alourdir l’amende, fait l’objet d’une appréhension autonome, prenant en compte les sanctions dont il a déjà fait l’objet par une autre autorité ou juridiction.

3- Comparaison du montant ainsi obtenu au maximum légal, désormais le même pour tous, enserré dans des plafonds, non plus en valeur absolue, mais relative en pourcentage du chiffre d’affaires, qui peut faire l’objet d’ultimes correctifs :
 pour une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 10 % de son chiffre d’affaires mondial. De plus, parmi les principales évolutions, un traitement à part est réservé aux associations d’entreprises – expression qui a remplacé celle d’organismes – conçues comme « les organisations qui ont vocation à regrouper l’ensemble des entreprises d’une même profession, ou d’un même secteur, et les organisations syndicales », les unes et les autres ayant pour « objectif premier […] de représenter et de défendre les intérêts de l’ensemble des entreprises d’une profession ou d’un secteur donné, même [si elles] peuvent exercer à titre accessoire des activités économiques pour le bénéfice de leurs adhérents » (ADLC, Étude sur les organismes professionnels, 27 janv. 2021, ce qui renvoie not. aux GIE, aux syndicats, ou aux associations et ordres professionnels). Leurs pratiques étant à risque, en ce qu’elles jouent souvent un rôle de facilitateur des cartels, notamment par la diffusion de consignes tarifaires, d’informations sensibles ou de stratégies d’éviction, ces associations sont sérieusement « mises à l’amende » dans le dernier état du texte. Le summum de la sanction a en effet été substantiellement relevé, n’étant plus de 3 millions d’euros, mais pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de ces associations ou, lorsque l’infraction a trait à l’activité de leurs membres, 10 % du total des chiffres d’affaires mondiaux réalisés par chacun de ceux actifs sur le marché concerné.
 Correctifs finaux en fonction : soit d’une éventuelle procédure de clémence (toilettée par le décr. n° 2021-568 du 10 mai 2021), entraînant une réduction, voire une immunité d’amende ; soit de la capacité contributive de l’entreprise (en cas not. de difficultés financières) ou de l’association d’entreprises, laquelle, lorsqu’elle est insolvable, peut lancer un appel à contribution de ses membres entre lesquels est instauré un mécanisme de solidarité ; soit de mesures de réparation adoptées, en cours de procédure, au bénéfice des victimes en exécution d’une transaction. Le quantum des amendes est, au bout du compte, susceptible d’atteindre des sommets, signe, s’il en est, du tournant pris par les autorités vers une politique toujours plus répressive et dissuasive. En témoignent les sommes mirobolantes infligées par la Commission à Google, soit, au total, plus de 8,2 milliards d’euros en deux ans, pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en conférant un avantage à son service de comparaison de prix (Comm. UE, 27 juin 2017, aff. AT.39740, Google Shopping, conf. par Trib. UE, 10 nov. 2021, aff. T-612/17), en renforçant sa position sur certains appareils mobiles (Comm. UE, 18 juil. 2018, aff. AT.40099, Google Android), ou encore en matière de publicité en ligne (Comm. UE, 20 mars 2019, aff. AT.40411, Google AdSense). L’Autorité française n’est pas en reste, puisqu’elle a condamné Apple à hauteur de 1,1 milliard d’euros pour ententes au sein de son réseau de distribution et abus de dépendance économique vis-à-vis de ses revendeurs « premium » (ADLC, déc. 20-D-04 du 16 mars 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de marque Apple). Par ailleurs, les amendes administratives peuvent se cumuler, soit entre elles lorsqu’elles sont prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, aucune limite n’étant plus prévue depuis la loi Sapin II précitée (art. L. 470-2, VI et VII C. com. ; ce qui a été validé par le Cons. const., déc. n°2021-984 QPC, 25 mars 2022, Eurelec), soit avec une amende pénale infligée à raison des mêmes faits, dans la limite du maximum légal le plus élevé (sauf en cas d’obstruction à l’enquête, Cons. const., déc. n° 2021-892 QPC, 26 mars 2021, Akka technologies). Dans un autre ordre d’idées, « le principe ne bis in idem ne s’oppose pas à ce qu’une autorité nationale de concurrence inflige à une entreprise, dans une même décision, une amende pour violation du droit national de la concurrence et une amende pour violation de l’article 102 du TFUE, en s’assurant que les amendes prises ensemble sont proportionnées à la nature de l’infraction » (CJUE, 3 avr. 2019, aff. n° C-617/17, M. Behar-Touchais, « Le cumul des amendes pour violation du droit européen et du droit national de la concurrence et le principe ne bis in idem », EDDC, 1er déc. 2019, n° 112r1, p. 6).

Les entreprises étant aujourd’hui conscientes plus encore qu’hier de ce à quoi s’attendre lorsqu’elles franchissent la ligne jaune, ne reste plus qu’à les inciter à adopter des programmes de conformité aux règles de concurrence, dans la lignée de la très à la mode compliance (ADLC, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, 11 oct. 2021).

 

 

Jurisprudences pertinentes

Union Européenne

Trib. UE, 10 nov. 2021, aff. T-612/17

CJUE, 3 avr. 2019, aff. n° C-617/17

Com. Eur., 20 mars 2019, aff. AT.40411, Google AdSense

Com. Eur., 18 juil. 2018, aff. AT.40099, Google Android

Com. Eur., 27 juin 2017, aff. AT.39740, Google Shopping

Cour Européenne des Droits de l’Homme

CEDH, 1er oct. 2019, n° 37858/14

France

Cons. const., déc. n°2021-984 QPC, 25 mars 2022, Eurelec

CE, 29 déc. 2021, n° 457203, Eurelec

Cass. 2e civ., 30 sept. 2021, nos 20-18302 et 20-18672

Cass. 2e civ., 4 juin 2020, n° 19-13775

Cons. const., déc. n° 2021-892 QPC, 26 mars 2021, Akka technologies

Cons. const., déc. n° 2018-749 QPC, 30 nov. 2018

ADLC, déc. 20-D-04 du 16 mars 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de marque Apple

TA Paris, 9 oct. 2018, n° 1709708, Climespace

TA Lyon, 8 févr. 2018, n° 1509724, Casino

Cons. const. déc. no 2015-489 QPC, 14 oct. 2015

Cons. const., déc. n° 2014-690 DC, 13 avr. 2014

Cons. const., déc. n° 2010-85 QPC, 13 janv. 2011

 

Bibliographie

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A. Apel, Les amendes en droit français et en droit européen des pratiques anticoncurrentielles, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2022

M. Behar-Touchais, « Le cumul des amendes pour violation du droit européen et du droit national de la concurrence et le principe ne bis in idem », EDDC, 1er déc. 2019, n° 112r1, p. 6

D. Bosco, « Inconstitutionnalité de l’article L. 464-2 V, alinéa 2 du Code de commerce », CCC, juin 2021, n° 6, comm. 103

« Transposition française de la directive ECN+ : vers une mise en œuvre plus efficace de l’antitrust », CCC 2021, n° 7, comm. 121

M. Chagny, « La résistible ascension du juge administratif dans le droit de la concurrence ? », AJCA 2015, p. 289

E. Claudel, « Communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires du 30 juillet 2021. Vers un durcissement des sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence ? », RTD Com. 2021, p. 583

« Ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur : la directive ECN+ enfin transposée ! », RTD Com. 2021, p. 562

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S. Subrémon, « Transiger avec ses clients victimes de pratiques anticoncurrentielles en cours de procédure devant l’Autorité de la concurrence : vraie solution ou fausse bonne idée ? », RLC, 2021, n° 110

Auteur

Citation

Sibylle Chaudouet, Amende, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 1735

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

(...) La sanction n’est pas une fin en soi. Elle constitue l’un des outils dont dispose l’Autorité pour faire respecter le droit de la concurrence et est par conséquent utilisée pour les infractions graves. Effectives et dissuasives, les sanctions doivent être proportionnées. Les critères qui servent à calculer le montant des sanctions sont déterminés par le législateur : la gravité de la pratique (ce qui inclut sa durée), le dommage causé à l’économie, la situation de l’entreprise ou du groupe auquel l’entreprise appartient, et la réitération des pratiques. Le plafond maximal de la sanction est fixé à 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe. Le législateur a également prévu que les décisions de sanction de l’Autorité soient rendues publiques ; au-delà de leur coût pécuniaire, elles ont donc un coût en termes d’image. L’Autorité a publié en 2011 un communiqué précisant la méthode qu’elle suit pour appliquer les critères déterminés par la loi et calculer le montant des sanctions (communiqué sanctions du 17 mai 2011). Cette méthode est également cohérente avec celles des autres autorités de concurrence en Europe. Ainsi, chaque entreprise sait à quoi s’attendre lorsqu’elle franchit la ligne jaune. Les sanctions peuvent atteindre des montants très élevés, en particulier lorsque se combinent plusieurs facteurs : infraction grave, dommage important à l’économie, grand groupe auteur des pratiques. Les sanctions sont cependant toujours proportionnées. D’une part, l’assiette de base de la sanction dépend de la valeur des ventes des produits ou services liés à l’infraction, et, d’autre part, l’Autorité de la concurrence prend en compte la situation individuelle de l’entreprise. Ainsi, le fait d’être un grand groupe diversifié disposant d’importantes ressources pourra conduire à majorer le montant de la sanction pour lui assurer un effet dissuasif. À l’inverse, une PME qui ne produit qu’un seul type de produit ou une entreprise dont la situation financière individuelle est particulièrement difficile pourra bénéficier d’une réduction du montant de la sanction. (...) En France, le Parlement, qui a toujours soutenu le principe de sanctions dissuasives, que ce soit lors du vote de la loi sur les nouvelles régulations économiques en 2001 ou de la loi de modernisation de l’économie en 2008, a choisi de faire reposer la régulation concurrentielle sur le prononcé d’amendes pécuniaires aux entreprises. Le Parlement a recommandé des sanctions effectives et dissuasives. Lorsqu’une sanction est prononcée, l’entreprise la trouve toujours trop élevée, et le plaignant ou le consommateur lésé la juge quant à lui trop faible ! En tout état de cause, les économistes s’accordent à dire que, pour être vraiment dissuasive, une sanction devrait être au moins égale au « gain » espéré d’une pratique anticoncurrentielle, compte tenu de la faible probabilité de détection. Le législateur tient compte de ce raisonnement, mais il a également fixé un objectif d’individualisation de la sanction. © Autorité de la concurrence

 
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