Deux matières méritent tout particulièrement quelques développements, dans lesquelles la méthode de détermination du montant des amendes administratives a été récemment refondue et précisée.
S’agissant de la sanction du non-respect des délais de paiement ou des clauses ayant pour effet de retarder abusivement leur point de départ (art. L. 441-16 C. com.), son plafond est parmi les plus élevés qui soient, ayant été rehaussé, par la loi Sapin II n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, à 75000 euros pour une personne physique et 2 millions pour une personne morale, ces maxima étant doublés en cas de réitération. Ainsi les sommes qu’écopent certaines entreprises explosent-elles depuis peu, atteignant des records comme 3,7 millions d’euros à l’encontre d’un opérateur de téléphonie mobile ou 2 millions pour une enseigne de la grande distribution (V. plus gén. les bilans établis par la DGCCRF, préc.). Une telle sévérité s’explique par l’enjeu majeur que représente la lutte contre les retards de paiement pour le bon fonctionnement de l’économie et la compétitivité des entreprises. De tels retards obèrent en effet la trésorerie de nombre de PME et sont à l’origine de leurs défaillances, voire menacent leur existence même, celles-ci étant dès lors obligées de recourir à des financements bancaires à court terme, auquel s’ajoute le risque d’« effet domino » sur tous les acteurs de la chaîne économique, l’auteur de délais de paiement excessifs bénéficiant, corrélativement, d’un crédit-fournisseur et d’un gain important en besoin de fonds de roulement.
Dans le silence des textes néanmoins, la DGCCRF a publié des lignes directrices destinées à éclairer non seulement le déroulement des enquêtes et des décisions de condamnation, soumis entre autres au contradictoire et à une obligation de motivation, mais aussi et surtout les critères dont elle tient compte lorsqu’elle évalue le montant des amendes administratives (Lignes directrices relatives à la détermination des sanctions pour dépassement des délais de paiement interprofessionnels, 2 déc. 2021 ; adde la fiche pratique relative à la règlementation des délais de paiement, févr. 2022). Bien que l’administration procède au cas par cas, conformément aux principes d’individualisation et de proportionnalité des peines, sous le contrôle des juridictions administratives (V. par ex. CAA Marseille, 14 juin 2021, n° 20MA01711 ; 11 oct. 2011, n° 19MA05488), elle opère, partant, une telle évaluation selon la méthodologie suivante :
– calcul du montant de base de l’amende équivalant au montant de la rétention de trésorerie générée par les retards de paiement des factures concernées, en additionnant les gains en besoin de fonds de roulement qui en sont issus ;
– ajustement compte tenu notamment de la taille et du chiffre d’affaires de l’entreprise poursuivie, ainsi que de l’importance des retards en cause par rapport au délai légal applicable ;
– limitation au maximum légal, tel qu’indiqué précédemment, pouvant être majoré, jusqu’à être doublé, en cas de réitération ;
– prise en compte de la situation financière de l’entreprise, selon les liasses fiscales ou tout élément justificatif qu’elle fournit, permettant le cas échéant de réduire le montant envisagé en fonction de ses difficultés financières, outre qu’elle peut solliciter un étalement du paiement de l’amende.
Le mode de calcul des amendes administratives en matière de pratiques anticoncurrentielles est cette fois gravé dans le marbre de la loi. Ainsi dépend-il en droit français de critères désormais unifiés et alignés sur ceux pratiqués par la Commission européenne (affinés dans ses lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’art. 23, § 2, sous a), du Règlement n° 1/2003, 1er sept. 2006). La logique est celle d’une application déconcentrée du droit européen indifféremment par les autorités nationales ou la Commission, selon le principe de l’autorité « la mieux placée ». En cohérence avec les aspirations d’harmonisation de la directive ECN+ 2019/1 du 11 décembre 2018 pour une plus grande efficacité des pouvoirs de sanction dévolus aux autorités nationales de concurrence, lesquelles doivent être en capacité « d’infliger des amendes effectives, proportionnées et dissuasives aux [opérateurs] qui enfreignent » les art. 101 et 102 TFUE (art. 13 dir.), la méthode d’appréciation sur laquelle reposent ces sanctions doit dès lors être unifiée. C’est chose faite depuis que l’Autorité de la concurrence a édicté un nouveau communiqué relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires le 30 juillet 2021, qui remplace le précédent du 16 mai 2011, et a mis à jour les critères lui permettant une telle détermination sous l’effet de l’adoption de nouvelles dispositions à l’art. L. 464-2 C. com. par l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 transposant spécifiquement les art. 14 et 15 de la directive précitée. Elle y apporte au demeurant un certain nombre d’ajustements complémentaires, qui s’inspirent de sa propre pratique décisionnelle et de celle de la Commission, ainsi que de la jurisprudence des juridictions de contrôle.
L’ébullition actuelle des autorités européenne comme interne a donné lieu à une refonte à la fois des critères d’appréciation de l’amende et de ses plafonds. Certes au service d’une plus grande transparence pour les opérateurs sur leur modus operandi, leur permettant d’estimer un ordre de grandeur de la sanction encourue, ces éclaircissements impliquent néanmoins de jongler entre les textes et leur propre doctrine, outre qu’ils ne fournissent aucune formule magique ni même arithmétique, le montant d’une telle sanction étant quantifié au cas par cas conformément aux principes de nécessité et de proportionnalité. Toujours est-il que ces autorités opèrent généralement selon une méthode de calcul qui suit un raisonnement en trois étapes :
1- Montant de base de l’amende, à partir de la valeur des ventes liées à l’infraction, qui permet de proportionner son assiette à l’ampleur économique de celle-ci et au poids relatif de chaque acteur qui y a pris part, avec parfois quelques adaptations, notamment pour les marchés bifaces ou multifaces de l’économie numérique ou les appels d’offres ponctuels.
Ce montant de base est par la suite fonction de :
– la gravité de la pratique en cause, dont les éléments constitutifs sont actualisés (par ex. la nature et les caractéristiques objectives de l’infraction ou des marchés en cause, ou bien les paramètres de concurrence affectés comme la diversité de l’offre, la qualité, l’innovation ou l’environnement, la politique de la concurrence étant ainsi « une sous-traitante du Pacte vert », ou encore les personnes touchées). Du reste, les pratiques les plus graves, comme les ententes horizontales ou les abus de position dominante, sont affectées, sur le modèle du « ticket d’entrée » du droit européen, d’un coefficient additionnel 15 et 25 % du montant de base. En d’autres termes, le simple fait pour une entreprise de participer à une entente pourra lui coûter en plus dans cette fourchette du bénéfice qu’elle réalise sur le produit concerné ;
– la durée de la pratique, qui est désormais un critère à part entière en droit français, avec un coefficient multiplicateur selon son nombre d’années ou prorata temporis.
Par ailleurs, la notion de « dommage causé à l’économie », inconnue de la directive, a été supprimée, pour éviter toute confusion avec la réparation d’un dommage subi par la victime d’une pratique, régie par ailleurs – art. L. 481-1 et s. C. com.
2- Ajustements de ce montant de base propres à individualiser la sanction au regard de la situation de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient ou de celle de l’association d’entreprises (à l’endroit par ex. de chaque partie à une entente) :
– à la baisse du fait de circonstances atténuantes, dont la liste est enrichie (not. la bonne foi déduite de l’ignorance de la pratique, la passivité ou le suivisme d’une entreprise ayant fait office de « franc-tireur », la contrainte subie par elle ou le faible effet de la pratique, le fait que celle-ci ait été « autorisée, sollicitée ou encouragée » par les pouvoirs publics, ou bien la coopération avec les autorités et la cessation de l’infraction dès les premières interventions de ces dernières) ;
– à la hausse du fait de circonstances aggravantes (not. la taille, la puissance économique ou les ressources importantes de l’acteur poursuivi, son rôle de meneur ou d’incitateur dans la conception ou la mise en œuvre de la pratique, la prise de mesures de contrainte ou de rétorsion afin de forcer d’autres à participer, ou lorsque les gains illicites sont supérieurs au montant de la sanction initialement envisagé). De plus, la réitération de la pratique, pouvant alourdir l’amende, fait l’objet d’une appréhension autonome, prenant en compte les sanctions dont il a déjà fait l’objet par une autre autorité ou juridiction.
3- Comparaison du montant ainsi obtenu au maximum légal, désormais le même pour tous, enserré dans des plafonds, non plus en valeur absolue, mais relative en pourcentage du chiffre d’affaires, qui peut faire l’objet d’ultimes correctifs :
– pour une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 10 % de son chiffre d’affaires mondial. De plus, parmi les principales évolutions, un traitement à part est réservé aux associations d’entreprises – expression qui a remplacé celle d’organismes – conçues comme « les organisations qui ont vocation à regrouper l’ensemble des entreprises d’une même profession, ou d’un même secteur, et les organisations syndicales », les unes et les autres ayant pour « objectif premier […] de représenter et de défendre les intérêts de l’ensemble des entreprises d’une profession ou d’un secteur donné, même [si elles] peuvent exercer à titre accessoire des activités économiques pour le bénéfice de leurs adhérents » (ADLC, Étude sur les organismes professionnels, 27 janv. 2021, ce qui renvoie not. aux GIE, aux syndicats, ou aux associations et ordres professionnels). Leurs pratiques étant à risque, en ce qu’elles jouent souvent un rôle de facilitateur des cartels, notamment par la diffusion de consignes tarifaires, d’informations sensibles ou de stratégies d’éviction, ces associations sont sérieusement « mises à l’amende » dans le dernier état du texte. Le summum de la sanction a en effet été substantiellement relevé, n’étant plus de 3 millions d’euros, mais pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de ces associations ou, lorsque l’infraction a trait à l’activité de leurs membres, 10 % du total des chiffres d’affaires mondiaux réalisés par chacun de ceux actifs sur le marché concerné.
– Correctifs finaux en fonction : soit d’une éventuelle procédure de clémence (toilettée par le décr. n° 2021-568 du 10 mai 2021), entraînant une réduction, voire une immunité d’amende ; soit de la capacité contributive de l’entreprise (en cas not. de difficultés financières) ou de l’association d’entreprises, laquelle, lorsqu’elle est insolvable, peut lancer un appel à contribution de ses membres entre lesquels est instauré un mécanisme de solidarité ; soit de mesures de réparation adoptées, en cours de procédure, au bénéfice des victimes en exécution d’une transaction.
Le quantum des amendes est, au bout du compte, susceptible d’atteindre des sommets, signe, s’il en est, du tournant pris par les autorités vers une politique toujours plus répressive et dissuasive. En témoignent les sommes mirobolantes infligées par la Commission à Google, soit, au total, plus de 8,2 milliards d’euros en deux ans, pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en conférant un avantage à son service de comparaison de prix (Comm. UE, 27 juin 2017, aff. AT.39740, Google Shopping, conf. par Trib. UE, 10 nov. 2021, aff. T-612/17), en renforçant sa position sur certains appareils mobiles (Comm. UE, 18 juil. 2018, aff. AT.40099, Google Android), ou encore en matière de publicité en ligne (Comm. UE, 20 mars 2019, aff. AT.40411, Google AdSense). L’Autorité française n’est pas en reste, puisqu’elle a condamné Apple à hauteur de 1,1 milliard d’euros pour ententes au sein de son réseau de distribution et abus de dépendance économique vis-à-vis de ses revendeurs « premium » (ADLC, déc. 20-D-04 du 16 mars 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de marque Apple). Par ailleurs, les amendes administratives peuvent se cumuler, soit entre elles lorsqu’elles sont prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, aucune limite n’étant plus prévue depuis la loi Sapin II précitée (art. L. 470-2, VI et VII C. com. ; ce qui a été validé par le Cons. const., déc. n°2021-984 QPC, 25 mars 2022, Eurelec), soit avec une amende pénale infligée à raison des mêmes faits, dans la limite du maximum légal le plus élevé (sauf en cas d’obstruction à l’enquête, Cons. const., déc. n° 2021-892 QPC, 26 mars 2021, Akka technologies). Dans un autre ordre d’idées, « le principe ne bis in idem ne s’oppose pas à ce qu’une autorité nationale de concurrence inflige à une entreprise, dans une même décision, une amende pour violation du droit national de la concurrence et une amende pour violation de l’article 102 du TFUE, en s’assurant que les amendes prises ensemble sont proportionnées à la nature de l’infraction » (CJUE, 3 avr. 2019, aff. n° C-617/17, M. Behar-Touchais, « Le cumul des amendes pour violation du droit européen et du droit national de la concurrence et le principe ne bis in idem », EDDC, 1er déc. 2019, n° 112r1, p. 6).
Les entreprises étant aujourd’hui conscientes plus encore qu’hier de ce à quoi s’attendre lorsqu’elles franchissent la ligne jaune, ne reste plus qu’à les inciter à adopter des programmes de conformité aux règles de concurrence, dans la lignée de la très à la mode compliance (ADLC, Document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, 11 oct. 2021).
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