L’absence de l’un quelconque de ces critères est suffisante pour le rejet de la qualification comme « aide d’État ». Leur analyse ci-après suivra un ordre logique pour cette qualification (la Cour de justice commence souvent son énoncé des critères par l’origine étatique et donne l’impression de télescoper les critères d’avantage et de sélectivité en employant l’expression d’« avantage sélectif »).
« Entreprise »
Le prérequis pour constituer une aide est que la mesure vise comme bénéficiaire une « entreprise », c’est-à-dire toute entité exerçant une activité économique (offre de biens et services sur un marché donné), indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement (CJCE, 12 septembre 2000, Pavlov e.a., aff. jtes C 180/98 à C 184/98, pts 74 et 75), même si l’activité est sans but lucratif (CJCE, 1er juillet 2008, MOTOE, aff. C 49/07, pts 27 et 28). En principe, si des mécanismes de marché n’existent pas (comme pour la gestion immobilière de prisons dans certains États membres, par exemple), les activités qui font intrinsèquement partie des prérogatives de puissance publique ne constituent pas des activités économiques (notamment, l’armée ou la police, la sécurité et le contrôle de la navigation aérienne, le contrôle et la sécurité du trafic maritime, la surveillance antipollution, l’organisation, le financement et l’exécution des peines d’emprisonnement, la valorisation et la revitalisation de terrains publics par des autorités publiques – v. communication de la Commission préc., pt 17). Des activités comme la sécurité sociale ou la santé relèvent de l’activité économique selon qu’elles sont fondées sur le principe de solidarité ou sur des régimes économiques (v. ibid., pts 19 à 27). Les mesures étatiques visant à développer de grands projets d’infrastructure (aéroports, routes, chemins de fer, stades, etc.) peuvent également relever des aides d’État selon la position des différents acteurs concernés (développeur/propriétaire, opérateur/exploitant, utilisateurs finals – v. ibid., pts 199 à 228 – cette dernière catégorie concerne également les conditions décrites ci-après).
« Favorisant », « sous quelque forme que ce soit »
La mesure doit procurer un « avantage » économique qu’une entreprise n’aurait pas pu obtenir dans les conditions normales du marché, c’est-à-dire en l’absence d’intervention de l’État (CJCE, 11 juillet 1996, SFEI e.a. c/ La Poste e.a., aff. C 39/94, pt 60). La notion d’aide est « plus générale que la notion de subvention parce qu’elle comprend non seulement des prestations positives telles que les subventions elles-mêmes, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont d’une même nature et ont des effets identiques » (CJCE, 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg c/ Haute Autorité de la CECA, aff. 30-59, p. 39).
Ce critère fait souvent appel à des analyses financières dans le cadre de l’application de la notion « d’opérateur en économie de marché » pour déterminer si des interventions étatiques dans l’économie (lorsque l’État investit, octroie du crédit ou une garantie, achète ou vend des biens ou des services sur le marché, privatise, etc.) doivent être qualifiées d’aides d’État (v. not. communication de la Commission préc., pts 73 à 114). À cette fin, il y aura lieu d’apprécier si, ex ante, dans des circonstances similaires, un opérateur privé d’une taille comparable, opérant dans les conditions normales du marché, aurait pu être amené à réaliser les opérations en cause.
La conformité de ces opérations avec ces conditions normales de marché peut être établie directement sur la base des données du marché spécifiques à cette opération (opération effectuée pari passu par des entités publiques et des opérateurs privés ou appels d’offres concurrentiels, transparents, non discriminatoires et inconditionnels en cas de vente et d’achat). En l’absence de telles données, cette conformité est appréciée en fonction d’autres méthodes disponibles, en examinant les conditions dans lesquelles des opérations comparables réalisées par des opérateurs privés comparables se sont déroulées dans des situations comparables (analyse comparative) ou sur la base d’une méthode d’évaluation standard communément acceptée (en se fondant sur des données disponibles objectives, vérifiables et fiables, suffisamment détaillées pour refléter la situation économique au moment où l’opération a été décidée et en tenant compte du niveau de risque et des attentes pour l’avenir). On fera intervenir dans ce cas des outils financiers comme le taux de rendement interne, la valeur actuelle nette, le coût du capital, le « capital asset pricing model », l’expertise indépendante, etc. (Trib. UE, 25 janvier 2018, Brussels South Charleroi Airport (BSCA) c/ Commission, aff. T-818/14 ; Trib. UE, 3 juillet 2014, Espagne, Ciudad de la Luz, e.a. c/ Commission, aff. jtes T-319/12 et T-321/12). Ces analyses ne tiendront pas compte d’éléments non pertinents comme ceux liés aux revenus provenant de prérogatives de l’État (fiscalité, économies sur allocations de chômage), aux externalités positives (développement régional et industriel, politique de l’emploi) et aux considérations philanthropiques ou sociales.
Par exception à ce qui précède, une mesure étatique qui se borne à compenser une entreprise pour les coûts d’exécution d’une obligation de service public sans conférer un avantage réel au bénéficiaire ne constitue pas une aide d’État (CJUE, 24 juillet 2003, Altmark, aff. C-280/00). Quatre conditions cumulatives doivent être remplies pour qu’une telle mesure échappe à la qualification d’aide d’État : premièrement, le bénéficiaire doit effectivement être chargé, par un acte législatif ou règlementaire, de l’exécution d’obligations de service public qui doivent être clairement définies ; deuxièmement, les paramètres de calcul de la compensation doivent être établis à l’avance de manière objective et transparente ; troisièmement, la compensation ne doit pas dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts en cause en tenant compte des recettes et d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations ; quatrièmement, lorsque la sélection du bénéficiaire ne résulte pas d’un marché public, la compensation doit être déterminée sur la base d’une analyse des coûts qu’entraîne qu’une entreprise moyenne, bien gérée et suffisamment adéquatement équipée pour répondre aux exigences de service public nécessaires, aurait encouru pour s’acquitter de ces obligations.
« Certaines »
Seules peuvent constituer des aides les mesures sélectives, qui confèrent un avantage à certaines entreprises ou catégories d’entreprises ou à certains secteurs économiques.
La sélectivité peut être « matérielle » quand la mesure ne s’applique qu’à certaines entreprises (ou catégories d’entreprises) ou qu’à certains secteurs de l’économie dans un État membre donné. Ce caractère sélectif peut être établi de jure ou de facto. Les mesures fiscales présentent des difficultés particulières s’agissant du critère de sélectivité. Progressivement, la jurisprudence a développé un test en trois étapes à ce sujet : (i) la définition du cadre de référence pertinent (le système « normal » d’imposition), (ii) la dérogation (avantage non ouvert à toutes les entreprises se trouvant dans des situations comparables), et (iii) l’absence de justification par la nature ou l’économie générale du régime en cause (CJUE, 21 décembre 2016, Commission c/ World Duty Free, aff. jtes C-20/15 P et C-21/15 P ; CJUE, 21 décembre 2016, Commission c/ Lübeck, aff. C-524/14 P).
La sélectivité peut également être « géographique » ou « régionale » (CJCE, 19 septembre 2000, Allemagne c/ Commission, aff. C-156/98, pt 23) selon le système de référence (des mesures qui ne s’appliquent qu’à certaines parties du territoire d’un État membre ne sont pas toutes automatiquement sélectives). Des mesures de portée régionale ou locale peuvent ne pas être considérées comme sélectives en cas d’autonomie institutionnelle, procédurale et financière de l’autorité régionale qui a décidé de la mesure (CJCE, 6 septembre 2006, Portugal c/ Commission, aff. C-88/03, pts 62 à 67).
« Accordées par les États ou au moyen de ressources d’État »
L’avantage doit impliquer des ressources d’État ou opérer un transfert de ces ressources, ou, lorsqu’un tel transfert n’est pas effectif (notamment en matière d’exemption fiscale, de garantie étatique), constituer une charge supplémentaire ou un risque suffisant d’une telle charge pour le budget de l’État au sens large (CJCE, 13 mars 2001, PreussenElektra, aff. C 379/98, pt 62 ; CJUE, 19 mars 2013, Bouygues et Bouygues Télécom c/ Commission e.a., aff. jtes C 399/10 P et C 401/10 P, pts 137, 138 et 139), sans toutefois que cette charge ou ce risque doive être étroitement lié et corresponde à, ou ait pour contrepartie, un avantage spécifique (arrêt Bouygues préc., pt 105). Le contrôle étatique doit être d’un degré suffisant, quelles que soient les circonstances (CJCE, 15 juillet 2004, Pearle, aff. C 345/02, pts 36 à 39 ; CJUE, 28 mars 2019, Allemagne c/ Commission, aff. C-405/16 P). En outre, contrairement au mot « ou » du texte du traité, la mesure doit également être « imputable » à l’État, ce qui suppose, lorsque l’avantage est octroyé par l’intermédiaire d’entreprises publiques ou même privées, que les autorités publiques aient été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de la mesure (CJCE, 16 mai 2002, France c/ Commission (Stardust), aff. C 482/99, pts 52 à 57). L’octroi de l’avantage directement ou indirectement au moyen de ressources d’État et son imputabilité à l’État sont deux conditions distinctes et cumulatives mais souvent examinées conjointement, car elles sont toutes deux liées à l’origine de la mesure.
« Faussent ou qui menacent de fausser la concurrence » et « dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres »
L’avantage doit avoir pour effet, réel ou potentiel, de fausser la concurrence et doit affecter, réellement ou potentiellement, les échanges entre États membres. Ces deux critères, distincts et nécessaires, sont dans la pratique souvent traités conjointement, car ils sont généralement considérés comme indissociablement liés. Leur caractère potentiel, sans nécessité de démonstration d’effet réel et concret (et donc d’étude économique quelconque), doit être souligné. Il suffit de démontrer que la mesure est de nature à renforcer la position concurrentielle du bénéficiaire par rapport à d’autres entreprises concurrentes, il n’est pas requis que la distorsion de concurrence ou l’affectation des échanges entre États membres soit sensible ou substantielle, mais seulement potentielle, à condition de ne pas être hypothétique ou présumée (CJCE, 17 septembre 1980, Philip Morris Holland c/ Commission, aff. 730/79). Cette possibilité n’est pas pour autant automatiquement établie et elle doit donc être démontrée (TPICE, 6 septembre 2006, Italie et Wam c/ Commission, aff. jtes T 304/04 et T 316/04, pt 63, confirmé par CJCE, 30 avril 2009, Commission c/ Italie et Wam, aff. C-494/06 P). On notera une tendance récente du Tribunal, à la suite d’une série de décisions de la Commission, à réduire quelque peu l’étendue de la notion d’affectation potentielle des échanges entre États membres s’agissant d’aides à des bénéficiaires de dimension locale qui doivent faire l’objet d’une démonstration au cas par cas. Les effets prévisibles de certaines mesures peuvent en effet s’avérer marginaux compte tenu de la dimension locale de l’activité concernée ou de la faiblesse du chiffre d’affaires en cause, à titre d’indice d’activité économique très réduite (Trib. UE, 14 mai 2019, Marinvest c/ Commission, aff. T-728/17, pt 109 ; communication de la Commission préc., pt 192).
Par ailleurs, on notera que l’article 107, paragraphe 1, TFUE commence par les mots « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur » : l’interdiction des aides d’État n’est donc pas absolue (d’où l’emploi du mot « incompatibles », qui sous-entend que certaines aides peuvent être déclarées compatibles avec le marché intérieur). C’est l’objet des paragraphes 2 (aides compatibles de plein droit) et 3 (aides compatibles selon l’appréciation exclusive et discrétionnaire de la Commission) de l’article 107 TFUE.