Abus de position dominante

 

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Premier aperçu

L’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») et l’article L. 420-2 du Code de commerce interdisent le fait, pour une entreprise, d’exploiter abusivement sa position dominante, la détention d’une telle position n’étant pas en elle-même fautive. L’article 102 fournit des illustrations d’abus qui « ne constituent que des exemples » (CJCE, 21 février 1973, Aff. C-6/72, Europemballage Corporation et Continental Can Company Inc. C. Commission) dépourvus de caractère limitatif ou exhaustif. Il en est de même de l’article L. 420-2 du Code de commerce qui, bien qu’il ne se réfère pas toujours aux mêmes abus, est interprété de manière largement semblable par l’Autorité de la concurrence et les juridictions françaises.

Pour prouver qu’une entreprise a commis un abus, il faut, au préalable, établir qu’elle détient une position dominante sur le marché. Si tel est le cas, il faut ensuite établir qu’elle a recours à des moyens qui ne relèvent pas de la concurrence par les mérites.

Il existe deux catégories d’abus.

L’abus d’exclusion consiste à empêcher un concurrent de se développer ou d’entrer sur le marché, voire à l’en exclure. Cette catégorie inclut notamment les accords d’exclusivité (comme les obligations d’approvisionnement exclusif), les rabais de fidélité, les ventes liées/ ventes groupées, la prédation tarifaire, le refus de vente ou la compression de marges (ou ciseau tarifaire) ; cette dernière suppose que le dominant fournisse seul un intrant indispensable tout en étant concurrent du dominé sur un marché aval ; il y a ciseau si la marge du concurrent qui s’aligne sur le prix aval du dominant est exagérément comprimée du fait du prix de l’intrant. Pour apprécier si un comportement est un abus d’exclusion, il est généralement recouru au test du « concurrent aussi efficace », dit test AEC : est abusive, non l’exclusion de n’importe quel concurrent, mais seulement celle du concurrent aussi efficace que le dominant.

L’abus d’exploitation consiste à conserver une part excessive de la valeur, par exemple en pratiquant des prix sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie, ou en imposant des conditions inéquitables ou commercialement injustifiées à ses clients.

 

Pour aller plus loin

Depuis longtemps, les autorités de concurrence se sont concentrées sur les abus d’exclusion. Par exemple, la seule communication de la Commission relative à l’article 102 TFUE (Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes (2009/C 45/02)) traite exclusivement des abus d’éviction.

Toutefois, les autorités de concurrence, ont récemment montré un regain d’intérêt pour les abus d’exploitation consistant en des prix excessifs, particulièrement dans le secteur pharmaceutique.

L’Autorité italienne de la concurrence a ainsi sanctionné Aspen en 2016 après avoir constaté des augmentations de prix situées entre 300 % et 1500 % pratiquées en Italie à l’égard de produits d’importance vitale et irremplaçables, sans qu’elles puissent être justifiées économiquement. La Commission a examiné ces mêmes pratiques dans d’autres Etats membres, soulignant que patients et médecins n’avaient d’autre choix que de recourir aux médicaments concernés et que, lorsque les autorités sanitaires tentaient de résister, Aspen menaçait de ne plus assurer un approvisionnement normal du marché.

De même, l’Autorité anglaise a condamné Pfizer et Flynn à une amende en raison de prix qu’elle a qualifiés d’excessifs car ils excédaient un retour sur investissement raisonnable (défini à 6 %) et ils étaient substantiellement supérieurs à d’autres niveaux. Mais les juridictions anglaises ont annulé cette décision, qui n’aurait pas correctement mis en évidence le caractère excessif des prix pratiqués.

En l’absence de lignes directrices dédiées aux abus d’exploitation, ces affaires posent la question de la méthode d’identification du caractère excessif des prix. La jurisprudence a apporté certaines clarifications. Selon l’affaire United Brands, il faut rechercher une disproportion excessive entre le coût et le prix et, dans l’affirmative, examiner s’il y a imposition d’un prix inéquitable, soit au niveau absolu, soit par comparaison avec les produits concurrents (CJCE, 14 février 1978, United Brands Company et United Brands Continentaal BV c. Commission des Communautés européennes, Aff. 27/76, point 252). D’autres affaires ont validé une méthode fondée sur une comparaison des prix appliqués dans l’État membre concerné à ceux appliqués dans d’autres États membres (CJCE, 13 juillet 1989, Tournier, Aff. 395/87, point 38, ainsi que CJCE, 13 juillet 1989, Lucazeau e.a., Aff. 110/88, 241/88 et 242/88, point 25), à condition que les États membres de référence soient sélectionnés selon des critères objectifs, appropriés et vérifiables (CJUE, 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība c. Konkurences padome, Aff. C-177/16, point 41).

Plusieurs leçons sont à tirer d’affaires récentes d’abus d’exclusion.

L’arrêt Intel (CJUE, 6 septembre 2017, Intel Corp. Inc. C. Commission européenne, Aff. C-413/14 P), dont les implications ne sont pas univoques, a néanmoins permis à la Cour de préciser la portée de la jurisprudence Hoffman-La Roche (CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG c. Commission des Communautés européennes, Aff. 85/76). La Cour a énoncé que si le fait, pour une entreprise en position dominante, d’appliquer un système de rabais de fidélité, « c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client, quel que soit par ailleurs le montant de ces achats, s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante » constitue une présomption d’abus, il il s’agit d’une présomption simple.

Par conséquent, lorsque l’entreprise en position dominante soutient que son comportement n’a pas eu les effets d’éviction reprochés, la Commission est tenue d’analyser l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant. Elle doit également apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces.

La Cour a également souligné que l’analyse de la capacité d’éviction de l’entreprise en position dominante est pertinente pour déterminer si les pratiques peuvent être objectivement justifiées, semblant adopter en ce sens une approche de l’article 102 TFUE fondée sur les effets et s’éloignant par conséquent d’une approche formaliste.

Enfin, la Cour a estimé que, le test AEC ayant revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces, le Tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel sur ce point. Cela relativise l’approche fondée sur les effets puisque, pris a contrario, cela pourrait signifier que si la Commission n’avait pas analysé les arguments d’Intel relatifs au test AEC, le Tribunal n’aurait pas été tenu de les examiner.

Par ailleurs, le Tribunal a récemment confirmé la décision de la Commission sanctionnant Google pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en conférant un avantage illégal à un autre de ses produits, son service de comparaison de prix (TUE, 10 novembre 2021, Google LLC c. Commission européenne, Aff. T-612/17). Cette affaire impliquait des pratiques de référencement sélectif et montre la capacité du droit de la concurrence à utiliser l’article 102 TFUE afin d’appréhender de nouvelles pratiques.

 

Jurisprudences pertinentes

TUE, 10 novembre 2021, Google LLC c. Commission européenne, Aff. T-612/17, ECLI:EU:T:2021:763

CJUE, 6 septembre 2017, Intel Corp. Inc. C. Commission européenne, Aff. C-413/14 P, ECLI:EU:C:2017:632

CJUE, 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība c. Konkurences padome, Aff. C-177/16, ECLI:EU:C:2017:689

CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG c. Commission des Communautés européennes, Aff. 85/76.ECLI:EU:C:1979:36

CJCE, 14 février 1978, United Brands Company et United Brands Continentaal BV c. Commission des Communautés européennes, Aff. 27/76, ECLI:EU:C:1978:22

 

Bibliographie

Thèses

The concept of abuse in EU competition law, AKMAN Pinar, Hart Publishing, 2012

Abuse of Dominance in EU Competition Law : Emerging Trends, PARCU Pier Luigi, MONTI Giorgio et BOTTA Marco, Edward Elgar Publishing, 2017

Fasc. 561 : Abus de position dominante – Notion d’abus en droit communautaire, PRIETO Catherine, J. Cl. Concurrence Consommation, 2018

Droit européen de la concurrence – Chapitre IV – Section III : L’abus, PETIT Nicolas, Lextenso, 2020

Articles

Article 102 TFUE : The case for a remedial enforcement model along the lines of Section 5 FTC Act, BELLIS Jean-François, Concurrences, 2013

The Ordoliberal Concept of ’Abuse’ of a Dominant Position and its Impact on Article 102 TFEU, BEHRENS Peter, 2015

What is an Abuse of a Dominant Position ? Deconstructing the Prohibition and Categorizing Practices, IBANEZ COLOMO Pablo, 2021

The Theory of Abuse in Google Search : A Positive and Normative Assessment Under EU Competition Law, AKMAN Pinar, 2018

Auteurs

  • Orrick, Herrington & Sutcliffe (Paris)
  • Freshfields Bruckhaus Deringer (Tokyo)

Citation

Patrick Hubert, Lena Boucon, Abus de position dominante , Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 1697

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Pratiques commerciales anticoncurrentielles (y compris l’exploitation incorrecte de clients ou l’éviction de concurrents) auxquelles est susceptible de se livrer une entreprise en position dominante pour conserver ou renforcer sa position sur le marché. Le droit de la concurrence interdit ce type de comportement, car il fausse la concurrence qui s’exerce entre les entreprises, porte préjudice aux consommateurs et dispense l’entreprise en position dominante de véritablement entrer en concurrence avec les autres entreprises. L’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE donne des exemples d’abus, à savoir l’imposition de prix non équitables, la limitation des débouchés et l’application à l’égard de partenaires commerciaux de conditions inégales ou inutiles. Commission européenne

(...) Contrairement aux ententes, qui sont des pratiques collectives, les abus de position dominante sont en général des pratiques unilatérales émanant d’un acteur économique qui cherche à renforcer ou étendre sa position dominante, en usant de moyens qui ne relèvent pas de la concurrence par les mérites. Par exemple, une entreprise en position dominante peut verrouiller le marché, soit au niveau de l’approvisionnement en amont, soit au niveau de la distribution en aval, au détriment de ses concurrents ; elle peut également pratiquer des prix qui sont susceptibles d’éliminer ses concurrents ou d’empêcher l’arrivée de nouveaux entrants sur des marchés liés ou connexes. Les abus de position dominante peuvent prendre de multiples formes : clauses d’exclusivité excessives par leur champ, leur durée ou leur portée, ventes liées, prix prédateurs, rabais fidélisants, pratiques discriminatoires, dénigrement, élévation artificielle de barrières à l’entrée, etc. Il peut paraître paradoxal que certaines de ces pratiques, qui se traduisent pourtant par des prix moins élevés à court terme, soient considérées comme dommageables. Mais n’oublions pas que ces pratiques sont susceptibles d’aboutir à l’éviction de concurrents aussi efficaces, conduisant dans un second temps à des hausses de prix ou à une réduction de la variété des produits. (...) Lorsqu’elle enquête sur un possible abus de position dominante, et lorsque cet abus est constaté, l’Autorité dispose de plusieurs outils pour y mettre fin et rétablir la concurrence. Elle peut tout d’abord imposer des mesures d’urgence en attendant de se prononcer au fond. Elle peut aussi, sous certaines conditions, rendre obligatoires des engagements par lesquels l’acteur dominant modifie son comportement, permettant ainsi un retour à un fonctionnement concurrentiel satisfaisant. L’Autorité peut également prononcer des injonctions ou des sanctions pécuniaires. © Autorité de la concurrence

Pratiques commerciales anticoncurrentielles auxquelles est susceptible de se livrer une entreprise dominante pour préserver ou améliorer sa position sur le marché. Ces pratiques peuvent être considérées - non sans controverse - comme une exploitation abusive ou anormale, d’une situation de contrôle monopolistique d’un marché en vue de restreindre la concurrence. L’expression « abus de position dominante » figure dans la réglementation de la concurrence d’un certain nombre de pays comme le Canada ou l’Allemagne et dans celle de la Communauté Economique Européenne. Aux Etats-Unis, les dispositions équivalentes seraient celles sur les monopoles, les tentatives de monopolisation ou la monopolisation d’un marché. Les différentes catégories de pratiques commerciales jugées abusives varient selon le cas et selon le pays. Pour certaines pratiques, le régime appliqué pourra être également différent d’un pays à l’autre. Quoi qu’il en soit, on relève l’existence de toute une série de pratiques dont la légalité a été contestée dans divers pays, sans toutefois que les juridictions compétentes tranchent toujours dans le sens de l’illégalité : les prix abusifs ou déraisonnables, la discrimination par les prix, les prix d’éviction, l’écrasement des prix par des entreprises intégrées, le refus de vente, la vente liée ou la subordination de vente et l’accaparement de moyens de production. © OCDE

Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à : a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables, b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs, c) appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, d) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats Article 102 TFUE

Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L. 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. Art. L. 420-2 Code du Commerce

Voir Position dominante (notion), Abus de dépendance économique et Oligopole

 
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