Depuis longtemps, les autorités de concurrence se sont concentrées sur les abus d’exclusion. Par exemple, la seule communication de la Commission relative à l’article 102 TFUE (Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes (2009/C 45/02)) traite exclusivement des abus d’éviction.
Toutefois, les autorités de concurrence, ont récemment montré un regain d’intérêt pour les abus d’exploitation consistant en des prix excessifs, particulièrement dans le secteur pharmaceutique.
L’Autorité italienne de la concurrence a ainsi sanctionné Aspen en 2016 après avoir constaté des augmentations de prix situées entre 300 % et 1500 % pratiquées en Italie à l’égard de produits d’importance vitale et irremplaçables, sans qu’elles puissent être justifiées économiquement. La Commission a examiné ces mêmes pratiques dans d’autres Etats membres, soulignant que patients et médecins n’avaient d’autre choix que de recourir aux médicaments concernés et que, lorsque les autorités sanitaires tentaient de résister, Aspen menaçait de ne plus assurer un approvisionnement normal du marché.
De même, l’Autorité anglaise a condamné Pfizer et Flynn à une amende en raison de prix qu’elle a qualifiés d’excessifs car ils excédaient un retour sur investissement raisonnable (défini à 6 %) et ils étaient substantiellement supérieurs à d’autres niveaux. Mais les juridictions anglaises ont annulé cette décision, qui n’aurait pas correctement mis en évidence le caractère excessif des prix pratiqués.
En l’absence de lignes directrices dédiées aux abus d’exploitation, ces affaires posent la question de la méthode d’identification du caractère excessif des prix. La jurisprudence a apporté certaines clarifications. Selon l’affaire United Brands, il faut rechercher une disproportion excessive entre le coût et le prix et, dans l’affirmative, examiner s’il y a imposition d’un prix inéquitable, soit au niveau absolu, soit par comparaison avec les produits concurrents (CJCE, 14 février 1978, United Brands Company et United Brands Continentaal BV c. Commission des Communautés européennes, Aff. 27/76, point 252). D’autres affaires ont validé une méthode fondée sur une comparaison des prix appliqués dans l’État membre concerné à ceux appliqués dans d’autres États membres (CJCE, 13 juillet 1989, Tournier, Aff. 395/87, point 38, ainsi que CJCE, 13 juillet 1989, Lucazeau e.a., Aff. 110/88, 241/88 et 242/88, point 25), à condition que les États membres de référence soient sélectionnés selon des critères objectifs, appropriés et vérifiables (CJUE, 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība c. Konkurences padome, Aff. C-177/16, point 41).
Plusieurs leçons sont à tirer d’affaires récentes d’abus d’exclusion.
L’arrêt Intel (CJUE, 6 septembre 2017, Intel Corp. Inc. C. Commission européenne, Aff. C-413/14 P), dont les implications ne sont pas univoques, a néanmoins permis à la Cour de préciser la portée de la jurisprudence Hoffman-La Roche (CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche & Co. AG c. Commission des Communautés européennes, Aff. 85/76). La Cour a énoncé que si le fait, pour une entreprise en position dominante, d’appliquer un système de rabais de fidélité, « c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client, quel que soit par ailleurs le montant de ces achats, s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante » constitue une présomption d’abus, il il s’agit d’une présomption simple.
Par conséquent, lorsque l’entreprise en position dominante soutient que son comportement n’a pas eu les effets d’éviction reprochés, la Commission est tenue d’analyser l’importance de la position dominante de l’entreprise sur le marché pertinent, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d’octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant. Elle doit également apprécier l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces.
La Cour a également souligné que l’analyse de la capacité d’éviction de l’entreprise en position dominante est pertinente pour déterminer si les pratiques peuvent être objectivement justifiées, semblant adopter en ce sens une approche de l’article 102 TFUE fondée sur les effets et s’éloignant par conséquent d’une approche formaliste.
Enfin, la Cour a estimé que, le test AEC ayant revêtu une importance réelle dans l’appréciation par la Commission de la capacité de la pratique de rabais en cause de produire un effet d’éviction de concurrents aussi efficaces, le Tribunal était tenu d’examiner l’ensemble des arguments d’Intel sur ce point. Cela relativise l’approche fondée sur les effets puisque, pris a contrario, cela pourrait signifier que si la Commission n’avait pas analysé les arguments d’Intel relatifs au test AEC, le Tribunal n’aurait pas été tenu de les examiner.
Par ailleurs, le Tribunal a récemment confirmé la décision de la Commission sanctionnant Google pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des moteurs de recherche en conférant un avantage illégal à un autre de ses produits, son service de comparaison de prix (TUE, 10 novembre 2021, Google LLC c. Commission européenne, Aff. T-612/17). Cette affaire impliquait des pratiques de référencement sélectif et montre la capacité du droit de la concurrence à utiliser l’article 102 TFUE afin d’appréhender de nouvelles pratiques.