L’abus qui découle d’une position dominante se subdivise en deux grandes catégories : d’une part, l’abus d’éviction et, d’autre part, l’abus d’exploitation. Bien que ces deux catégories ne soient pas totalement étanches (cf. pratique du ciseau tarifaire), la première consiste à exclure un concurrent du marché alors que la seconde consiste, pour une entreprise, à profiter de sa position dominante pour imposer à ses partenaires commerciaux des conditions tarifaires ou commerciales injustifiées.
En l’état actuel du droit positif, il convient d’opérer une distinction entre, d’un côté, les pratiques relatives au prix et, d’un autre côté, les pratiques relatives aux conditions commerciales.
Les pratiques relatives au prix concernent, en premier lieu, celles qui ont trait au prix excessif. Leur appréhension pose de sérieuses difficultés à la fois juridiques (conditions à vérifier) et économiques (tests à effectuer) car les autorités de concurrence n’ont pas vocation à intervenir sur le processus de formation du prix, de même que prohiber en soi le prix excessif reviendrait à interdire toute position monopolistique. Le prix excessif est défini comme étant celui qui est « sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie » (CJCE, 13 nov. 1975, aff. C-26/75, General Motors Continental ; CJCE, 14 févr. 1978, aff. C-27/76, United Brands et United Brands Continentaal ; CJUE, 27 févr. 2014, aff. C-351-12, Kanal 5 et TV 4, CJUE, 14 sept. 2017, aff. C-177/16, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība). L’appréciation s’effectue de manière in concreto et il est nécessaire, pour l’autorité poursuivante, d’apporter non seulement la preuve du caractère excessif du prix mais, également, du lien causal entre la pratique litigieuse et l’état de position dominante de la personne poursuivie (CA Paris, 4 nov. 2019, RG n° 18/23992). Les solutions varient donc selon le secteur concerné et la situation d’espèce dont les juges et les autorités sont saisies. Pour caractériser l’abus, un faisceau d’indices peut néanmoins être utilisé tel que la hausse forte et brutale du prix, l’évolution du prix dans le temps, le comportement de la personne poursuivie, la structure du marché, la comparaison avec les prix pratiqués par l’entreprise dans d’autres territoires ou par ses concurrents pour des produits identiques, etc.
Les pratiques relatives au prix peuvent concerner, en second lieu, le prix discriminatoire. Il existe, à ce titre, les pratiques discriminatoires de premier rang et celles de second rang. Les premières sont celles qui conduisent à un effet d’exclusion des concurrents alors que les secondes sont celles qui affectent la concurrence entre les clients qui se situent sur un autre marché que celui sur lequel opère l’entreprise en position dominante. Néanmoins, en matière de prix, les pures discriminations de second rang semblent rares. Le contentieux se concentre surtout sur les avantages tarifaires consentis à certains partenaires plutôt qu’à d’autres (v. not. CJCE, 15 mars 2007, aff. C-95/04, British Airways). Pour caractériser l’existence d’une pratique discriminatoire, l’article 102, c) TFUE exige que celle-ci inflige « un désavantage dans la concurrence », autrement dit, une distorsion de concurrence entre les partenaires commerciaux. Néanmoins, s’il s’agit bien d’apporter la preuve d’un effet anticoncurrentiel, celui-ci n’a nul besoin d’être avéré mais peut seulement être potentiel (CJUE, 19 avril 2018, aff. C-525/16, MEO). Cette constatation doit ainsi « se fonder sur une analyse de l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce qui permet de conclure que ledit comportement a une influence sur les coûts, sur les bénéfices, ou sur un autre intérêt pertinent d’un ou de plusieurs desdits partenaires » (ibid.) de nature à affecter leur position concurrentielle.
L’abus d’exploitation peut, en second lieu, se concrétiser par des pratiques relatives aux conditions commerciales. Il peut s’agir, là encore, de traitements discriminatoires. Dans le secteur des plateformes numériques, ont ainsi pu être appréhendées, à côté de discriminations de premier rang (Aut. conc., 7 juin 2021, déc. n° 21-D-11), de pures discriminations de second rang, à condition qu’un lien de connexité suffisant soit établi entre le marché sur lequel l’entreprise détient sa position dominante et le marché sur lequel opère les partenaires (Aut. conc., 19 déc. 2019, déc. n° 19-D-26). Il peut également s’agir de conditions de transaction non-équitables au sens de l’article 102, a) TFUE, telles que la mise en place de règles contractuelles qui manquent de transparence et d’objectivité. Les notions de non-équité et de discrimination ne doivent pas être confondues car la première est plus large que la seconde et vise l’ensemble des partenaires commerciaux (ibid., n° 355 et s.). En revanche, il n’est pas exigé que l’auteur ait obtenu un avantage disproportionné pour que la pratique soit constituée (ibid. n° 367).