Services d’intérêt économique général

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Le concept de service d’intérêt économique général (SIEG) trouve sa source dans le traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne (CEE) en son article 90, paragraphe 2. Cette disposition est restée pour l’essentiel inchangée avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE (v. CJCE, 19 mars 1991, France c/ Commission, aff. C-202/88, pt 12). Sont notamment concernées les entreprises évoluant dans les secteurs d’infrastructures de réseau : communications, énergie, transport, etc.

Le concept de SIEG a été ensuite repris par le traité d’Amsterdam (1997) pour l’identifier parmi les « valeurs communes de l’Union » (ancien art. 16 TCE) et a été confirmé par le traité de Lisbonne (2007) avec l’article 14. Depuis lors, aucune initiative législative n’a été proposée sur le fondement de cet article. Il n’en reste pas moins qu’il présente, avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE, « une unité de sens : garantir que les [SIEG] soient soumis aux traités, tout en veillant à ce que leurs missions particulières ne soient pas mises en échec » (v. conclusions AG Campos Sánchez-Bordona, 24 septembre 2020, Poste Italiane, aff. jtes C‑434/19 et C‑435/19, pt 37). Autrement dit, « des dérogations aux règles du traité ne sont permises que si elles sont nécessaires à l’accomplissement de la mission particulière qui a été impartie à une entreprise chargée de la gestion d’un SIEG » (v. CJUE, 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a. c/ Vereniging Gelijkberechtiging Grondbezitters e.a., aff. C-817/18 P, pt 97).

Les articles 14 et 106, paragraphe 2, TFUE doivent par ailleurs être interprétés à la lumière du protocole n° 26, issu du traité de Lisbonne et relatif aux services d’intérêt général, y inclus les SIEG, pour lesquels il convient de reconnaître un « large pouvoir discrétionnaire des autorités nationales, régionales et locales » pour les fournir, les faire exécuter et les organiser (v. CJUE, 24 novembre 2020, Viasat Broadcasting UK, aff. C-445/19, pt 31). L’interprétation de la notion de SIEG doit enfin tenir compte également de la charte des droits fondamentaux de l’UE, en particulier de son article 36 concernant l’accès aux SIEG (v. CJUE, 7 septembre 2016, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), aff. C-121/15, pt 40).

L’objectif de cette disposition est de « concilier l’intérêt des États membres à utiliser certaines entreprises, notamment du secteur public, en tant qu’instrument de politique économique ou fiscale avec l’intérêt de [l’UE] au respect des règles de concurrence et à la préservation de l’unité du marché [intérieur] » (v. France c/ Commission, préc., pt 12).

 

Pour aller plus loin

Comme l’a souligné le juge de l’Union, « en droit [de l’UE] et aux fins de l’application des règles de concurrence du [TFUE], il n’existe ni de définition réglementaire claire et précise de la notion de mission SIEG, ni de concept juridique établi fixant, de manière définitive, les conditions qui doivent être réunies pour qu’un État membre puisse valablement invoquer l’existence et la protection d’une mission SIEG (…) au sens de l’article [106, para. 2, TFUE] » (v. TPICE, 12 février 2008, BUPA, aff. T-289/03, pt 165). Les États membres se voient ainsi reconnaître « un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme [des] SIEG et (…) la définition de ces services par un État membre ne peut être remise en question par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste » (v. Trib. UE, 1er mars 2017, France c/ Commission, aff. T‑366/13, p 92). Pour autant, leur pouvoir de définition « n’est pas illimité et ne peut être exercé de manière arbitraire aux seules fins de faire échapper un secteur particulier à l’application des règles de concurrence » (v. Trib. UE, 15 novembre 2018, Stichting Woonlinie e.a. c/ Commission, aff. jtes T-202/10 RENV II et T-203/10 RENV II, pt 80).

Dans le respect de cette compétence, la Cour de justice privilégie une approche fonctionnelle en insistant sur les contraintes qui pèsent sur l’entreprise concernée (pour le SIEG postal : CJCE, 19 mai 1993, Corbeau, aff. C-320/91, pt 15 ; dans le même sens pour le SIEG de l’électricité : CJCE, 27 avril 1994, Commune d’Almelo, aff. C-393/92, pt 48 ; pour une application par le juge national : CE, 10 juillet 2020, n° 423901). Cette approche sera consacrée par le législateur de l’UE à travers notamment la notion de service universel.

Quant à la Commission, elle voit dans la notion de SIEG « la prestation d’un service qu’un opérateur, s’il considérait son propre intérêt commercial, n’assumerait pas ou n’assumerait pas dans la même mesure ou dans les mêmes conditions » (v. pts 45 et 47 de la communication de la Commission relative à l’application des règles de l’UE en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de SIEG). Selon elle, il n’est pas opportun de recourir à un SIEG là où un service est déjà fourni par le marché ou peut l’être de façon satisfaisante et dans des conditions (prix, caractéristiques de qualité objectives, continuité et accès au service) compatibles avec l’intérêt général, tel que le définit l’État, par des entreprises exerçant leurs activités dans des conditions commerciales normales (v. pt 48 de la communication SIEG, préc., et pt 104 de l’arrêt de la Cour dans l’affaire C-817/18 P, préc.). Cette approche joue un rôle essentiel dans l’application du régime dérogatoire de l’article 106, paragraphe 2, TFUE qui exige un mandat clair des autorités publiques et qui implique que la gestion du SIEG puisse s’exercer « dans des conditions économiquement acceptables », sans pour autant exiger que l’équilibre financier ou la viabilité économique de l’entreprise mandatée soit menacé (v. CJUE, 3 mars 2011, AG2R Prévoyance, aff. C-437/09, pt 76). La notion de SIEG est enfin aussi au cœur du test dit « Altmark » pour écarter, sous certaines conditions, la qualification d’aide d’État pour les compensations de service public (v. en ce sens : aide d’État SA.49207 – France – Desserte maritime de la Corse post 2019 – Invitation à présenter des observations en application de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, JOUE n° C 260 du 7 août 2020, p. 20).

 

Bibliographie

Communication de la Commission relative à l’application des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État aux compensations octroyées pour la prestation de services d’intérêt économique général, JOUE n° C 8 du 11 janvier 2012, p. 4

CHARBIT (N.), Le droit de la concurrence et le secteur public, Paris, L’Harmattan, 2002

DESTAILLEUR (Th.), « Essai de définition des services d’intérêt général par le prisme de l’obligation de service public », CDE 2020, p. 667

DEWOST (J.-L.) (coord.), Les services d’intérêt économique général et le marché intérieur : régimes nationaux et cadre juridique européen, Paris, Société de législation comparée, 2012

GUINARD (D.), Réflexions sur la construction d’une notion juridique, l’exemple de la notion de services d’intérêt général, Paris, L’Harmattan, 2012

KOVAR (R.) et SIMON (D.) (dir.), Service public et Communauté européenne : entre l’intérêt général et le marché, actes du colloque de Strasbourg, 17-19 octobre 1999, 2 tomes, Paris, La Documentation française, 1998

LOUIS (J.-V.) et RODRIGUES (S.) (dir.), Les services d’intérêt économique général et l’Union européenne, Bruylant, 2006

RODRIGUES (S.), « Les services d’intérêt (économique) général de Rome à Lisbonne : de l’indifférence à la reconnaissance ? », dossier de « 60 ans du traité de Rome », Rev. UE 2018, p. 283

Auteur

  • University of Paris I Panthéon-Sorbonne

Citation

Stéphane Rodrigues, Service d’intérêt économique général, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12365

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Services à caractère économique, dont la fourniture peut être considérée comme relevant de l’intérêt général, par exemple, la fourniture de base, accessible à tous, d’énergie, de télécommunications, de services postaux, de transport, d’eau et de services d’élimination des déchets. Il incombe principalement aux États membres de définir ce qu’ils considèrent comme des services d’intérêt économique général en fonction des caractéristiques spécifiques des activités concernées. Toutefois, la Commission exerce un contrôle sur ces définitions pour le cas où les États membres commettraient des erreurs manifestes lorsqu’ils chargent des entreprises, au sens de l’article 106, paragraphe 2, du Traité sur le fonctionnement de l’UE, de la gestion de services d’intérêt économique général. La définition précise de la mission donnée impartie à l’entreprise chargée de la gestion de ce type de services joue un rôle important pour apprécier s’il est légitime, et dans quelle mesure, que l’État accorde des droits exclusifs ou des ressources à cette entreprise pour garantir l’accomplissement de ladite mission. Commission européenne

Voir également l’article 14 du Traité sur le fonctionnement de l’UE et le protocole n° 26 annexé à ce Traité.

Dans l’Union européenne, le TFUE prévaut sur toutes les règles des États membres. En conséquence, la législation de la concurrence de l’UE devrait normalement prévaloir sur les réglementations nationales. Bien que les dispositions du TFUE en matière de concurrence visent les entreprises privées et publiques, la Cour de justice a statué qu’en vertu de la clause de loyauté du Traité sur l’Union européenne (TUE), les États membres ne peuvent pas adopter des réglementations qui priveraient de leur efficacité les règles de l’UE en matière de concurrence, en dehors des exceptions stipulées dans le TFUE concernant spécialement la fourniture de services d’intérêt économique général. Sur cette base, la Cour de justice n’a admis aucune industrie à bénéficier d’une exemption complète de la législation de la concurrence de l’UE au motif d’une réglementation nationale. Cependant, le Traité stipule que les règles de concurrence ne s’appliquent pas, et que la législation nationale peut donc s’appliquer, quand la fourniture d’un service d’intérêt économique général (SIEG) l’exige. Cette disposition, que la Cour de justice interprète de manière étroite, nécessite de réunir trois conditions :

  • L’État a « chargé » une entreprise, par la législation ou par contrat, d’assurer la fourniture d’un SIEG. Bien que les États membres aient une grande latitude pour déterminer ce qu’est un SIEG, certains critères de l’UE commencent à se dégager : le service doit être universel, obligatoire et répondre à l’intérêt général et non à un intérêt privé.
  • La restriction de la concurrence est nécessaire pour que le service puisse être fourni dans des conditions économiquement acceptables.
  • La restriction de la concurrence n’est pas contraire à l’intérêt de l’Union. Cette disposition n’a pas encore fait l’objet d’un examen détaillé de la Cour de justice, mais elle exige plus que la preuve que les mesures d’État touchent le commerce entre les États membres.

Si un État membre ne remplit pas les obligations qui lui incombent en vertu de la législation de l’UE et adopte une réglementation qui oblige les entreprises à se livrer à des comportements anticoncurrentiels ne pouvant pas être justifiés par la fourniture d’un SIEG, la Cour de justice peut admettre une défense pour conduite réglementée, [défense tiré de la doctrine de l’action de l’État]. Ce ne sera toutefois le cas que si l’entreprise réglementée n’a pas de liberté de choix et que la mesure nationale n’a pas encore été déclarée contraire à la législation de l’UE par une autorité nationale ou par la Commission européenne. © OCDE

 
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