Une tension existe entre une ligne partisane d’un contrôle des concentrations tenant compte des impératifs de la politique industrielle, prônée par certains gouvernements notamment en vue de créer des « champions » nationaux ou européens, et les tenants d’un système fondé sur un cadre juridique et économique orthodoxe centré sur la protection de la concurrence et le bien-être des consommateurs.
Ce débat est ancien puisque déjà en 1973, le Conseil s’était opposé à la proposition de la Commission de créer un mécanisme de contrôle des concentrations en Europe, notamment en raison de la crainte de certains États membres (dont la France et l’Italie) de voir émerger une procédure de nature à gêner leurs politiques industrielles nationales. Deux autres propositions de la Commission en 1981 et en 1984 avaient également échoué à réunir le soutien des États membres pour des raisons similaires.
Ce débat a récemment refait surface avec l’interdiction très médiatisée de la fusion entre Alstom et Siemens en février 2019, rapprochement ostensiblement soutenu par la France et l’Allemagne. En réaction à cette interdiction de la Commission, les ministres des finances des deux pays ont publié au même moment un manifeste conjoint au titre sans ambiguïté : « Pour une politique industrielle adaptée au XXIème siècle ». Le manifeste proposait de « prendre en compte les enjeux de politique industrielle [et] permettre aux entreprises européennes d’être concurrentielles sur la scène mondiale », reprochant expressément à la Commission une analyse limitée à l’Europe et court-termiste. D’autres initiatives semblables de plusieurs gouvernements.se sont agrégées à ce mécontentement.
Si la Commissaire Vestager s’est exprimée contre de telles propositions, ainsi que de nombreuses personnalités, dont le prix Nobel d’économie Jean Tirole, précisément pour ne pas rendre le contrôle des concentrations trop politique et aléatoire, la Commission a néanmoins annoncé, en décembre 2019, son intention de réformer sa Communication en matière de définition du marché qui datait de 1997. L’objectif affiché est, entre autres, de prendre en compte la digitalisation et la mondialisation de l’économie. Ce processus de réforme est encore en cours. Sans être directement liées au contrôle des concentrations stricto sensu, les initiatives récentes du Digital Markets Act et du Digital Services Act proposés en décembre 2020, procèdent de la même volonté de « mieux » contrôler le pouvoir de marché des entreprises actives dans le secteur du numérique.
Par ailleurs, le problème de l’enforcement gap a donné lieu à des débats passionnés depuis près de 5 ans. Le fait que certaines opérations ne soient pas soumises à un quelconque contrôle a particulièrement été identifié dans les domaines du numérique et de l’industrie pharmaceutique où certaines entreprises génèrent peu de chiffre d’affaires tout en ayant un rôle très important dans le jeu concurrentiel. Cette réflexion des Autorités de concurrence s’est appuyée sur les rachats de WhatsApp par Facebook en 2014 et de Shazam par Apple en 2018, deux affaires sous les seuils européens, mais finalement notifiées à la Commission par le truchement des mécanismes de renvois.
Différentes solutions ont été envisagées pour remédier à ce problème.
En France, l’Autorité de la concurrence a envisagé la création d’un contrôle ex post lors de consultations en 2017 et 2018. En Allemagne, un seuil supplémentaire en valeur de la transaction, fixé à 400 millions d’euros, a été instauré à compter de 2017 pour capter les concentrations où le chiffre d’affaires de la cible est inférieur à 5 millions d’euros en Allemagne.
En Europe, à l’instigation de la France, la Commission a décidé d’une réforme à droit constant, annoncé en décembre 2019, en modifiant son interprétation de l’article 22 du Règlement n° 139/2004. Historiquement, la Commission décourageait les renvois par les autorités de concurrence sur le fondement de l’article 22 lorsque les seuils de notification nationaux n’étaient pas remplis. Désormais, la Commission les encourage à le faire dès lors qu’une opération affecte le commerce entre États membres et est susceptible de menacer significativement la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent la demande (voir les Orientations de la Commission du 31 mars 2021 concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du règlement sur les concentrations à certaines catégories d’affaires). Il s’agit là de critères vagues, en rupture avec l’usage bien ancré jusque-là en Europe, de seuils obligatoires, dont la pratique dira si cela concerne quelques cas par an ou au contraire un volume plus important d’affaires, éventuellement au détriment de la sécurité juridique à laquelle étaient habitués les Entreprises à ce sujet.