L’arrêt de la Cour de cassation associe donc l’acte parasitaire à une faute lucrative en ouvrant la possibilité à l’évaluation du préjudice au regard du profit réalisé sous la forme d’une économie injustifiée et de l’ « avantage indu » retiré du parasitisme. La prise en compte desdites conséquences profitables de l’acte parasitaire (sur l’ « avantage indu », v. aussi : CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 10 novembre 2020, n° 18/02205) renvoie à la définition de la faute lucrative proposée dans notre ouvrage et décrite comme « toute faute commise au préjudice d’autrui qui rapporte un gain, une économie, ou un avantage indu à son auteur » (G. de Moncuit, « La faute lucrative en droit de la concurrence », sept. 2020, p. 268). Cela traduit une rupture avec le principe de réparation intégrale et l’obligation faite au juge de réparer « tout le dommage mais rien que le dommage » selon une formule consacrée. Un mois après cet arrêt, la Cour d’appel de Bordeaux a également relié le parasitisme à la notion de faute lucrative, considérant que l’acte parasitaire constitue une faute lorsque l’appropriation indue des investissements est source d’« un profit abusif » qui vient rompre l’égalité entre les partenaires et perturber le jeu de la libre concurrence (CA Toulouse, ch. 2, 4 mars 2020, n° 17/01448). En conséquence, les juges du fond ont la encore fixé le montant du dommage au titre de l’économie et de l’avantage indu réalisé par la société fautive.
Cette considération pour le résultat lucratif de l’acte parasitaire ouvre la voie à des dommages-intérêts restitutoires qui seraient complémentaires des dommages-intérêts compensatoires. Le 22 juillet 2020, la Commission des lois du sénat a décidé que l’appréhension des fautes lucratives ne pouvait s’inscrire que dans une réforme à long terme de la responsabilité civile (Rapport n° 663, 2019-2020). Cette « procrastination » législative s’explique probablement par la crainte inspirée par l’amende civile confiscatoire affectée d’un coefficient multiplicateur proposé par le projet de réforme (Projet de réforme de la responsabilité civile, mars 2017, art. 1266‐1). La jurisprudence semble néanmoins engager elle-même un mouvement de réforme en consacrant, en cas d’actes parasitaires, une forme d’action en restitution des profits illicites en complément de l’action en réparation du dommage causé. Ce mouvement jurisprudentiel pourrait conduire le législateur à abandonner définitivement l’amende civile dans la réforme de la responsabilité civile pour lui préférer, en cas de faute lucrative, des dommages‐intérêts restitutoires.
Les conséquences pratiques de cette jurisprudence récente sont importantes. La victime d’un acte parasitaire semble disposer désormais d’une option supplémentaire : dans l’hypothèse où le dommage est difficile à quantifier, sauf à engager des dépenses disproportionnées par rapport aux enjeux du litige, la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes parasitaires. Cette possibilité ouvre une piste à la difficile conciliation entre le principe de réparation intégrale et l’impossibilité de mesurer le préjudice subi par le demandeur (J.-S. Borghetti, La réparation intégrale du préjudice à l’épreuve du parasitisme : D. 2020, p. 1086, n° 24). Elle témoigne d’une approche réaliste du contentieux en concurrence déloyale et parasitisme. L’évaluation du parasitisme des investissements intellectuels, matériels ou promotionnels et le dommage en résultant est souvent complexe en raison de la nature même du préjudice subi qui constitue un « préjudice économique pur » à la fois abstrait et progressif, et dont les effets, échelonnés dans le temps, sont par conséquent difficiles à quantifier au moment de l’action en réparation. Les victimes de concurrence déloyale pour des faits de parasitisme semblent désormais autorisées à évaluer leur dommage en invoquant les économies et avantages injustifiés du parasite. La possibilité, pour ces dernières, de former une demande de restitution intégrale des profits illicites complémentaire de la demande en réparation a pour mérite de renforcer la fonction dissuasive de la responsabilité civile.