L’article 11, paragraphe 1, du règlement sur les concentrations autorise la Commission à exiger des personnes contrôlant des entreprises, ainsi que des entreprises et des associations d’entreprises, qu’elles fournissent « tous les renseignements nécessaires » pour lui permettre de s’acquitter de ses obligations en vertu dudit règlement (principalement, la détermination de la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur de l’UE). Bien que l’article 11, paragraphe 7, du règlement sur les concentrations habilite également la Commission à interroger des personnes physiques et morales, la présente note se concentre sur l’utilisation de demandes visant à obtenir des informations et des documents écrits des parties à une concentration et d’autres acteurs du marché.
La Commission dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour émettre des demandes. Dans l’affaire Omya (TPICE, 4 février 2009, aff. T-145/06), le Tribunal a estimé que la « nécessité » de l’information doit être évaluée par rapport à l’opinion que la Commission pouvait raisonnablement avoir au moment où la demande a été faite, plutôt que par rapport à tout besoin réel d’information dans la procédure ultérieure (pt 30). Ce pouvoir discrétionnaire s’étend également au délai fixé pour la réponse. Dans l’affaire Schneider Electric (TPICE, 22 octobre 2002, aff. T-310/01), le Tribunal a considéré comme raisonnable une demande d’information qui contenait 322 questions et concernait 300 000 éléments d’information à rassembler en seulement cinq jours ouvrables, sur la base de « l’impératif de célérité » qui caractérise le régime communautaire des concentrations (pts 79 et 94-100).
Alors que la Commission adresse souvent des demandes informelles d’informations aux parties à la concentration au cours de la phase de prénotification, elle n’adresse généralement une demande formelle qu’après la date de la notification officielle de la concentration, conformément à son guide des meilleures pratiques (pts 26-28). Ces demandes formelles peuvent prendre la forme de « demandes simples » ou de « décisions formelles » qui peuvent être exécutées par des amendes et des astreintes. Les demandes doivent indiquer leur base juridique, préciser les informations requises, fixer un délai de réponse et indiquer les sanctions prévues en cas de fourniture d’informations incorrectes ou trompeuses. Les demandes formulées par décision formelle doivent également informer le destinataire de son droit à un contrôle juridictionnel devant la Cour de justice de l’UE.
Contrairement aux procédures américaines de contrôle des concentrations, les demandes d’information dans l’UE ne sont pas limitées aux enquêtes approfondies de la phase II, mais constituent des outils d’investigation fréquemment utilisés lors de l’examen des concentrations en phase I. Historiquement, ces demandes ne concernaient que des observations écrites et des données relatives, par exemple, à la proximité de la concurrence, aux ventes, aux prix ou aux appels d’offres. Toutefois, ces dernières années, le volume des demandes de documents a augmenté de manière significative, principalement en raison des réformes introduites après trois arrêts décisifs critiquant l’utilisation des preuves disponibles par la Commission. Outre l’analyse économétrique, les documents jouent désormais un rôle important dans l’évaluation par la Commission des effets d’une concentration sur la concurrence, une approche que les juridictions communautaires ont approuvée (Trib. UE, 6 juillet 2010, Ryanair aff. T-342/07, pt 138). Cette tendance est particulièrement nette dans les affaires de concentration complexes, dans lesquelles les demandes de documents de la Commission peuvent concerner plusieurs dépositaires, périodes et questions. À titre d’exemples récents, les acteurs du marché ont reçu de nombreuses demandes dans le cadre de fusions dans des secteurs que la Commission a considérés comme étant caractérisés par une concurrence axée sur l’innovation (par exemple, les produits pharmaceutiques, les produits chimiques) et une forte concentration (par exemple, les télécommunications, les plateformes en ligne).
Peu d’exigences formelles s’appliquent aux demandes de documents (v. ci-dessus), bien que des lignes directrices doivent être publiées au cours du mandat actuel de la Commission (2019-2024). Dans la pratique, les demandes de documents, même étendues, contiennent trois sections principales : (i) définitions et champ d’application, (ii) documents, et (iii) instructions. Le terme « document » désigne généralement toute information enregistrée électroniquement (par exemple, des courriels, des présentations, des rapports, des feuilles de calcul) que le destinataire a en sa possession, sous sa garde ou sous son contrôle (produite en interne ou par un tiers). L’étendue des dépositaires dont les documents doivent faire l’objet d’une recherche varie, mais inclut généralement les cadres supérieurs, les vendeurs et les conseillers juridiques internes (dont les communications, contrairement à celles des conseillers juridiques externes, ne bénéficient pas d’un privilège professionnel légal en tant que tel en vertu du droit européen). Quant aux documents entrant dans le champ d’application, il n’est pas rare qu’ils soient datés de trois à cinq ans avant la fusion proposée. La deuxième section de la demande précise le contenu des documents qui concernent les activités des parties à la fusion liées à la concurrence (par exemple, en ce qui concerne les chevauchements dans leurs activités commerciales, tels que les courriels, les plans d’affaires, les procès-verbaux des conseils d’administration, les stratégies d’investissement, les évaluations de la concurrence). Dans les affaires complexes, la Commission a pris l’habitude de partager un projet de demande avec les destinataires prévus pour en discuter, notamment en convenant des mots-clés auxquels les recherches électroniques pourraient être limitées. La dernière section de la demande précise le format dans lequel les documents doivent être produits (en général, en format natif et formaté pour la reconnaissance optique de caractères après suppression de tout mot de passe). Des instructions supplémentaires peuvent exiger du destinataire qu’il produise un rapport méthodologique et un registre des privilèges juridiques. À ce jour, il n’existe aucune exigence formelle de traduction des documents.
La production d’informations inexactes, incomplètes ou trompeuses en réponse à une simple demande ou à une décision formelle ou le fait de ne pas fournir les informations requises par une décision formelle dans le délai fixé par la Commission peuvent entraîner des amendes et des astreintes pour le destinataire de la demande, y compris pour des tiers (Comm. CE, 12 juillet 2000, Mitsubishi Heavy Industries, aff. COMP/M.1634), même si la Commission considère que la violation n’a pas eu d’incidence sur le résultat de son enquête (Comm. eur., 17 mai 2017, Facebook/WhatsApp, aff. M.8228, pt 100). Elle peut également conduire la Commission à « arrêter l’horloge » dans le cadre d’un examen de concentration en cours, c’est-à-dire à suspendre le calendrier d’examen fixé par le règlement sur les concentrations.
Les décisions concernant l’exclusion d’informations ou de documents pour des raisons de proportionnalité de la demande ou de secret professionnel doivent être prises avec prudence. Bien que le pouvoir de la Commission d’émettre des demandes soit soumis au principe de proportionnalité (Omya, préc., pt 34), comme nous l’avons vu plus haut, les tribunaux de l’UE ont accepté que « l’ impératif de célérité » et l’obligation d’évaluer la question de la proportionnalité au moment où la demande est faite puissent permettre des demandes étendues dans un court laps de temps. Cela dit, en ce qui concerne l’invocation du secret professionnel pour les communications d’un conseiller interne situé en dehors de l’UE dans une juridiction où les conseils d’un conseiller interne sont protégés par le secret professionnel (comme aux États-Unis), à la connaissance des auteurs, la Commission n’a pas cherché à ce jour à imposer la production de ces documents.
Enfin, dans le cadre de l’examen de fusions multi juridictionnelles, la décision d’un destinataire concernant la portée de sa réponse à une demande ou son approche du secret professionnel, dans une juridiction donnée, peut produire des effets dans plusieurs autres. Les paragraphes 5 et 6 de l’article 11 du règlement sur les concentrations établissent des mécanismes de coopération au sein de l’UE, mais la Commission se coordonne aussi régulièrement avec d’autres grandes autorités de concurrence dont les calendriers administratifs, ou les règles de secret professionnel ou de protection des données, peuvent différer des siens. Les destinataires des demandes doivent envisager ces effets potentiels, y compris en ce qui concerne toute fusion à laquelle le destinataire pourrait être partie à l’avenir, en consultation avec des conseils externes.