La notion d’entreprise présente une utilité tant au stade de l’applicabilité du droit de la concurrence que de sa mise en œuvre.
Le premier stade interroge sur la définition de l’entreprise. Selon l’arrêt Höfner, le statut juridique importe peu, permettant alors de qualifier d’entreprise toute personne juridique (physique ou morale) comme toute entité dépourvue de cet attribut (groupe de sociétés, succursale, etc.). Le critère déterminant réside dans l’activité économique de l’entité, qui n’est pas toujours des plus simples à caractériser. Les débats portent essentiellement sur la frontière entre l’activité économique et l’activité non économique entendue comme une activité nécessitant l’usage de prérogatives de puissance publique (CJCE, 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft c/ Eurocontrol, aff. C-364/92) ou traduisant un mécanisme de solidarité (CJCE, 17 février 1993, Poucet c/ AGF et Camulrac et Pistre c/ Cancava, aff. jtes C-159/91 et C-160/91).
Au stade de la mise en œuvre du droit de la concurrence se pose la question de savoir qui est l’entreprise contrevenante responsable de l’infraction. Deux cas de figure se présentent : déterminer qui de la filiale auteur de l’infraction ou du groupe auquel elle appartient doit être qualifié d’entreprise contrevenante, et identifier la personne juridique à qui doit être imputée la responsabilité de l’infraction lorsque l’entreprise auteur a fait l’objet d’une restructuration.
Sur le premier cas de figure, depuis l’affaire des matières colorantes, les autorités européennes considèrent que « la circonstance que la filiale a une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la société mère ; […] tel peut être notamment le cas lorsque la filiale, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont imparties par la société mère » (CJCE, 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries Ltd. (ICI) c/ Commission, aff. 48/69, pts 132-133). Le mécanisme d’imputation repose sur une présomption dite « capitalistique » : « Il résulte [...] d’une jurisprudence constante que, dans le cas particulier où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale. Dans une telle situation, il suffit que la Commission prouve que la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour considérer que ladite présomption est remplie » (CJUE, 9 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg c/ Commission européenne et Commission c/ ArcelorMittal Luxembourg e.a., aff. jtes C-201/09 P et C-216/09 P).
À défaut d’autonomie, l’infraction est imputée soit à la société mère soit à la filiale et à sa société mère solidairement (CJUE, 13 décembre 2012, Alliance One International, aff. C-593/11 P et Transcatab, aff. C-654/11 P ; TPICE, 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich AG c/ Commission, aff. jtes T-259/02 à T-264/02 et T-271/02 ; TPICE, 12 décembre 2007, AkzoNobel c/ Commission, aff. T-112/05). Le principe de responsabilité personnelle (et ses implications processuelles : prescription, principe non bis in idem, réitération), qui suppose que seul l’auteur d’une infraction soit tenu responsable de celle-ci, ne s’en trouve pas malmené. Dans l’hypothèse de l’imputation du comportement infractionnel commis formellement par la filiale à la société mère, le principe est respecté puisque la société mère est certes personnellement condamnée, mais pour une infraction qu’elle est censée avoir commise elle-même en raison des liens économiques et juridiques qui l’unissent à sa filiale et qui lui permettent de déterminer le comportement de cette dernière sur le marché (Trib. UE, 27 juin 2012, Bolloré, aff. T-372/10 ; TPICE, 8 octobre 2008, Schunk GmbH, aff. T-69/04 ; CJUE, 27 avril 2017, Akzo Nobel NV, aff. C-516/15 P). La présomption capitalistique est réfragable, mais l’étude de la jurisprudence montre que les requérantes peinent à renverser celle-ci (Trib. UE, 11 juillet 2019, Silver Plastics GmbH & Co KG et Johannes Reifenhäuser Holding GmbH & Co KG c/ Commission, aff. T-582/15 ; Trib. UE, 11 juillet 2019, Huhtamäki Oyj et Huhtamaki Flexible Packaging Germany GmbH & Co.KG, aff. T-530/15 ; Trib. UE, 11 juillet 2019, CCPL – Consorzio Cooperative di Produzione e Lavoro SC e.a., aff. T-522/15 ; CJUE, 22 octobre 2020, Silver Plastics GmbH & Co. KG et Johannes Reifenhaüser Holding GmbH & Co. KG c/ Commission, aff. C-702/19 P).
Sur le second cas de figure, il est fréquent qu’entre le moment de la commission de l’infraction et le jour de l’envoi de la notification et de la décision, le contrevenant ait subi une modification affectant sa structure économique ou juridique. Dès lors se pose la question de savoir comment et à qui imputer la responsabilité de l’infraction.
Le principe est éminemment clair depuis plus de vingt ans : « Tant que la personne morale responsable de l’exploitation de l’entreprise qui a mis en œuvre des pratiques enfreignant les règles de concurrence subsiste juridiquement, c’est elle qui doit être tenue pour responsable de ces pratiques. En particulier, elle continue de l’être même si les moyens matériels et humains ayant concouru à la commission de l’infraction ont été cédés à une tierce personne » (TPICE, 17 décembre 1991, Enichem Anic SpA c/ Commission, aff. T-6/89 ; CJCE, 16 novembre 2000, Cascades, aff. C-279/98 P ; Trib. UE, 17 mai 2013, Parker ITR, aff. T-146/09 RENV. V. en droit français, Cons. conc., « Rapport pour 2001 » ; Aut. conc., déc. n° 14-D-19 du 18 décembre 2014). Tant que la structure d’accueil originaire de l’entreprise contrevenante survit, elle reste responsable de l’infraction. Les modifications n’affectant pas sa personnalité morale, comme justement la cession des actifs litigieux, n’ont aucune incidence. Hormis la fraude, il existe toutefois une exception au principe d’imputabilité au support initial : l’existence de liens structurels entre des personnes juridiques supports successifs de l’entreprise contrevenante peut justifier le transfert de responsabilité à la seconde, quand bien même le support initial subsisterait juridiquement (CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. c/ Commission, aff. jtes. C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P ; CJUE, 24 septembre 2020, Prysmian SpA, Prysmian Cavi e Sistemi Srl c/ Commission, aff. C-601/18 P). En cas de disparition de la structure d’accueil originaire, les autorités peuvent suivre l’entreprise dans sa nouvelle coquille juridique. La méthode repose sur une alternative : soit il y a transmission des droits et obligations à un successeur juridique qui devient responsable de l’infraction, soit en l’absence d’une telle transmission, il sera fait recours au critère de la continuité économique et fonctionnelle de l’entreprise (successeur économique). Ainsi l’infraction concurrentielle ne reste-t-elle jamais impunie et l’effectivité du droit de la concurrence est-elle garantie.
Ces analyses ont dépassé le seul cadre du public enforcement pour s’imposer dans le contentieux des actions privées (CJUE, 14 mars 2019, Vantaan Kaupunki c/ Skanska Industrial Solutions Oy, aff. C-724/17).