Engagements (pratiques anticoncurrentielles)

 

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Premier aperçu

Le droit de l’Union européenne et le droit de la concurrence en France prévoient des modes alternatifs de règlement des procédures initiées devant l’autorité de la concurrence compétente (Commission européenne ou Autorité de la concurrence). Parmi ces procédures, les engagements sont des solutions aux problèmes de concurrence soulevés par l’Autorité de la concurrence et que proposent les entreprises.

Cette démarche « négociée » était initialement mise en œuvre par une lecture étendue de l’article 3 du règlement 17/1962. La procédure fut introduite formellement, en France à l’article L-464-2 du code de commerce, et, à l’échelle européenne, à l’article 9 du règlement 1/2003. Selon cet article, « lorsque la Commission envisage d’adopter une décision exigeant la cessation d’une infraction et que les entreprises concernées offrent des engagements de nature à répondre aux préoccupations dont la Commission les a informées dans son évaluation préliminaire, la Commission peut, par voie de décision, rendre ces engagements obligatoires pour les entreprises. La décision peut être adoptée pour une durée déterminée et conclut qu’il n’y a plus lieu que la Commission agisse ».

La procédure d’engagements permet donc à la Commission ou à l’Autorité de la concurrence de rendre obligatoires les engagements qui ont été préalablement proposés par les entreprises. L’autorité doit à cette fin publier un résumé de l’affaire et le contenu principal des engagements afin que les tiers intéressés présentent leurs observations. Une fois ces engagements adoptés, l’article 23 du règlement donne à la Commission le pouvoir d’infliger des amendes aux entreprises et aux associations d’entreprises qui n’auraient pas respecté un engagement.

Les pratiques pouvant relever de cette procédure sont nombreuses, car son champ d’application n’est pas restreint par les textes législatifs applicables, tant en droit européen qu’en droit français. En pratique, cependant, le recours à la procédure d’engagements est privilégié lorsque la saisine se rapporte à des pratiques d’abus de position dominante ou d’ententes verticales.

Les engagements reposent sur une logique « gagnant-gagnant ». Leur contenu est fixé par un processus de négociation entre les entreprises et les autorités, guidées par un « intérêt mutuel ». Pour les autorités en charge d’appliquer le droit de la concurrence, le premier atout que présente la procédure d’engagements est une économie de coûts et de procédure. L’autorité est notamment déchargée du fardeau probatoire puisqu’elle n’a pas à prouver l’infraction. Pour les entreprises, les engagements leur permettent de participer pleinement à la procédure, en proposant les solutions les plus appropriées. Elle réduit considérablement l’aléa judiciaire et évite une sanction potentielle qui peut emporter des amendes ou des injonctions coûteuses.

Trois types d’engagements peuvent être proposés : les engagements structurels, comportementaux et quasi-structurels. Les engagements comportementaux permettent de mettre fin à des pratiques contractuelles (engagement de mettre fin à une clause de non-concurrence ou de non-réaffiliation, engagement de mettre un terme à un lien contractuel…). Les engagements structurels, dont l’exemple topique est la cession d’actifs, sont moins fréquents, parce que la préoccupation de concurrence repose sur le comportement des entreprises et non sur la structure de marché (à l’inverse des engagements dans le contrôle des concentrations). Toutefois, des engagements « quasi-structurels » peuvent être proposés. Parmi eux, les engagements de licence et de donner accès connaissent un certain succès (communication d’informations sur les modifications techniques des produits, communication d’informations relatives à l’interopérabilité, accès à une technologie clef…). Quelle que soit la nature des engagements proposés, ils devront être pertinents, crédibles et vérifiables.

 

Pour aller plus loin

Malgré le succès et les nombreux avantages qu’offre la procédure d’engagements, il ne faut pas occulter les risques qu’elle présente. D’abord, on encourt le risque d’un appauvrissement du droit de la concurrence, car les décisions ne comportent aucune décision d’infraction.

Ensuite, l’œuvre de simplification de l’articulation entre le public enforcement et le private enforcement est considérablement réduite. Les décisions d’engagements ne constatent aucune infraction et elles ne peuvent donc pas servir de base à une action consécutive (et donc à la présomption irréfragable d’une faute civile). La CJUE note que les décisions relatives aux engagements n’affectent pas le pouvoir d’appliquer le droit commun aux pratiques anticoncurrentielles. Si l’appréciation préliminaire effectuée par la Commission peut constituer un indice du caractère anticoncurrentiel, une décision d’engagements ne préjuge pas du pouvoir du juge national et n’induit pas une présomption de licéité des pratiques visées (CJUE, 23 nov. 2017, aff. C-547/16, Gasorba c/ Repsol). Le juge national a repris une telle analyse en considérant qu’une décision d’engagement ne saurait créer une confiance légitime sur la licéité d’un comportement et ne peut nullement avoir pour effet de « légaliser rétroactivement » un comportement (TGI Paris, 22 févr. 2018, Betclic entreprises c/ GIE PMU Paris).

Enfin, le droit à un recours effectif et le principe de proportionnalité qui s’y attache ont été convoqués devant le juge de l’Union. Dans un premier temps, la Cour de justice a relevé que « la mise en œuvre par la Commission du principe de proportionnalité dans le contexte de l’article 9 du règlement no 1/2003 se limite à la vérification que les engagements en question répondent aux préoccupations dont elle a informé les entreprises concernées et que ces dernières n’ont pas offert d’engagements moins contraignants répondant d’une façon aussi adéquate à ces préoccupations ». La Commission jouit donc d’une très grande liberté dans la procédure d’engagements et le contrôle du juge sur les engagements ne porte que sur l’erreur manifeste d’appréciation (CJUE, 29 juin 2010, C-441/07 P, Alrosa). Dans un second temps, la Cour a dépassé cette jurisprudence s’agissant des tiers aux engagements. Elle avait d’abord reconnu au juge le pouvoir d’annuler un contrat pourtant objet d’une décision d’engagement (CJUE, 23 nov. 2017, aff. C-547/16, Gasorba c/ Repsol). Elle a ensuite reconnu l’effet relatif des engagements et a considéré qu’à défaut de recours effectif à la disposition des tiers en présence de la décision d’engagement, « le pouvoir de la Commission de rendre l’engagement obligatoire à l’égard d’un tiers intéressé constitue une ingérence dans la liberté contractuelle dudit cocontractant allant au-delà des prévisions de l’article 9 du règlement n° 1/2003 ». En d’autres termes, lorsque les parties prennent des engagements pour lever les préoccupations de concurrence, la décision ne doit pas vider de leur substance les droits des tiers, cocontractants des parties, et la Commission doit examiner, au regard du principe de proportionnalité, les effets de ses décisions d’engagements sur ces tiers cocontractants (CJUE, 9 déc. 2020, C-132/19 P, Groupe Canal +).

 

Bibliographie

Autorité de la concurrence, Les engagements comportementaux, Etude, La documentation français, 17 janvier 2020 ;

Claudel E., « Procédures négociées, accessoires ou alternatives à la sanction en droit de la concurrence : raison garder ! », Concurrences, 4/2015, n° 75896

Gunther J.-P., « Première lecture des remèdes comportementaux et structurels : une frontière ténue », in « Analyse économique des remèdes en droit de la concurrence », Concurrences, no 3-2011

Kipiani P., Les engagements en matière de pratiques anticoncurrentielles, L.G.D.J, 2014, Bibliothèque de droit international et droit de l’Union européenne, t. 32, 2014, 620 p.

Mezaguer M., Les procédures transactionnelles en droit antitrust de l’Union européenne : un exercice transactionnel de l’autorité publique, Bruylant, 2015, Collection Droit de l’Union européenne, 582 p

Auteur

Citation

Marie Cartapanis, Engagements (pratiques anticoncurrentielles), Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12301

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Tant en matière de contrôle des concentrations que dans certaines affaires antitrust, les entreprises disposent de la possibilité de proposer des solutions aux problèmes de concurrence soulevés par l’Autorité de la concurrence. (...) Lorsque l’Autorité a identifié des risques d’atteinte à la concurrence, les entreprises concernées peuvent proposer des engagements. Ceux-ci peuvent être structurels (ex : cessions d’actifs) ou comportementaux (ex : modification de conditions contractuelles, séparation fonctionnelle). (...) La procédure d’engagements permet à une entreprise de prendre elle-même les devants afin de proposer des solutions et de clore un dossier dans le cadre d’une procédure dite « négociée », avant que ne s’ouvre la phase contentieuse. Il n’y aura alors pas de constat d’infraction et l’entreprise s’engagera à changer de comportement pour l’avenir, au bénéfice de l’économie. L’Autorité de la concurrence, après avoir échangé avec elle, lui adresse des préoccupations de concurrence. L’entreprise y répond en proposant des engagements. À l’issue d’un « test de marché », et d’une séance devant le collège, au cours de laquelle toutes les parties peuvent s’exprimer, l’Autorité peut demander une modification des engagements ou rendre obligatoires ceux qui ont été présentés par l’entreprise concernée. La procédure d’engagements permet ainsi de régler rapidement certaines situations très en amont en évitant la lourdeur d’une instruction. Elle ne peut cependant pas s’appliquer aux cas d’ententes secrètes. © Autorité de la concurrence

L’article L. 464-2 du code de commerce a doté l’Autorité de la concurrence du pouvoir d’« accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme aux pratiques anticoncurrentielles. » La procédure d’engagements s’applique à des situations qui soulèvent des préoccupations de concurrence encore actuelles et auxquelles il peut être mis fin rapidement au moyen d’engagements. L’entreprise qui sollicite le recours aux engagements doit être en mesure d’apporter une réponse aux préoccupations de concurrence identifiées dans le cadre de l’évaluation préliminaire. Les engagements proposés doivent donc être pertinents, crédibles et vérifiables. La décision d’engagements n’est pas de nature contractuelle. Elle reste une décision unilatérale, à caractère obligatoire, mettant fin à une situation potentiellement contraire au droit de la concurrence. © Communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence de l’Autorité de la concurrence

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"Merger Remedies and Competition Law : An overview of recent EU case law and international policy developments"

"Merger Remedies in the US : An overview of leading cases"

 
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