Concurrence intermarques

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

L’expression de « concurrence intermarques » (entre les marques) est utilisée pour désigner la situation dans laquelle la concurrence a lieu entre des opérateurs qui proposent à la clientèle des produits différenciés en recourant, pour ce faire, à des marques ou signes distinctifs.

Elle s’oppose à la concurrence intramarque (à l’intérieur de la marque), correspondant quant à elle à la concurrence entre des distributeurs de produits de même marque, notamment à l’intérieur d’un réseau de distributeurs.

Ainsi les lignes directrices sur les restrictions verticales (ci-après « LD verticales ») évoquent-elles successivement, parmi les effets négatifs de celles-ci, la réduction de la concurrence intermarques, identifiée à « l’atténuation de la concurrence entre le fournisseur et ses concurrents et/ou facilitation de la collusion entre fournisseurs » et l’hypothèse symétrique de la concurrence intramarques, pour laquelle les effets se manifestent dans la concurrence entre l’acheteur et ses concurrents (pt 100). L’appréciation de ces pratiques s’effectue à partir de l’examen de leur incidence sur la concurrence intermarques et sur la concurrence intramarques.

La concurrence intermarques se développe désormais aussi avec la multiplication des marques de distributeurs, qui bénéficient de la notoriété de l’enseigne commerciale qui les crée, pour concurrencer les marques nationales notoires que les magasins continuent à distribuer.

 

Pour aller plus loin

Les droits de marque sont essentiels au système de concurrence non faussée de l’Union européenne. Les entreprises doivent être en mesure de s’attacher la clientèle par la qualité de leurs produits ou de leurs services, et cela n’est possible que grâce à l’existence de signes distinctifs (CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, aff. C-129/17). La distinctivité relève de l’objet spécifique, ou de l’existence, du droit de marque (CJUE, 17 octobre 1990, Hag II, aff. C-10/89). L’existence même d’un droit de marque ne peut être remise en question car il s’agit d’un monopole légal, mais son exercice peut donner prise aux règles de concurrence (v. CJCE, 18 février 1971, Sirena, aff. 40/70, et 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, aff. 78-70). Les signes distinctifs fondent la concurrence intermarques (ou « interbrand »). Mais la nature et l’intensité de la concurrence varie selon les produits et la structure économique du marché (CJUE, 6 décembre 2017, Coty Germany, aff. C-230/16). Si une bonne image de marque est a priori facteur de concurrence (LD verticales, pt 107), une marque peut conférer un pouvoir de marché, qui peut être utilisé pour affaiblir artificiellement la concurrence des autres marques. Plusieurs procédés ont été examinés par les autorités de concurrence.

Les réseaux de distribution reposent principalement sur l’exploitation de marques notoires. En raison des contraintes uniformes qui pèsent sur les distributeurs, les réseaux affaiblissent généralement la concurrence intramarque (ou à l’intérieur d’une même marque), mais ils peuvent en contrepoint favoriser la concurrence intermarques (v. CJCE, 13 juillet 1966, Consten et Grundig, aff. jtes 56 et 58-64). Ils permettent d’offrir à la clientèle un meilleur service sur les produits contractuels, tant que le réseau ne détient pas de pouvoir de marché excessif. C’est pour cette raison que le règlement d’exemption (CE) n° 330/2010 sur les restrictions verticales fixe un seuil de 30 % de part de marché au-delà duquel l’exemption n’est plus automatique.

Les réseaux de distribution sélective ne sont pas en tant que tels restrictifs de concurrence si les critères sont objectifs, uniformes et non discriminatoires, mais peuvent le devenir si leur conception va au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir à la clientèle un service correspondant à la nature des produits (technicité, v. p. ex. CJCE, 22 octobre 1986, Metro, aff. 75/84 ; ou « aura » spécifique du luxe, TPICE, 12 décembre 1996, Leclerc c/ Givenchy, aff. T-88/92, et Coty Germany, préc.). La préservation d’une simple « image de marque » ne justifierait pas un réseau fermé de distributeurs (CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, aff. C-439/09 ; LD verticales, pt 100). Mais l’image peut être préservée indirectement, par la validation des clauses objectives et uniformes, et par celles qui interdisent la revente des produits à des opérateurs dévalorisants (soldeurs, v. p. ex. CJCE, 23 avril 2009, Copad-Dior, aff. C-59/08, ou certaines plateformes, CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal-eBay, aff. C-324/09). Les clauses d’assortiment peuvent limiter à une seule catégorie de marques la concurrence intermarques (luxe ou très haute technicité) à l’intérieur du réseau. Mais n’autoriser que certains concurrents et pas d’autres pourrait dans certains cas constituer un boycottage collectif illicite (LD verticales, pt 69).

Les réseaux monomarques présentent plus de dangers pour la concurrence s’ils reposent sur une marque dominante, conférant un pouvoir de marché en raison de la fidélité de la clientèle. Un réseau qui dépasse 30 % de part de marché (règl. (CE) n° 330/2010 sur les restrictions verticales) peut être de nature à créer une barrière à l’entrée sur le marché. Les concurrents doivent alors engager des investissements publicitaires importants avec un risque d’échec, et donc de « coûts échoués » (LD verticales, pt 61). On voit ainsi des entreprises titulaires de marques fidélisantes investir des sommes considérables en publicité, pour déterminer à leur profit les décisions des consommateurs, et devenir prescripteurs de la demande (v. Comm. CE, déc. du 11 septembre 1997, Coca-Cola, aff. IV/M.833 et la notion de filière inversée de J. K. Galbraith).

Tout dépend du marché. Un marché mature, et peu innovant, favorise les marques anciennes notoires et fidélisantes, tandis qu’un marché nouveau, innovant, est souvent plus perméable à l’arrivée de nouveaux entrants.

Mais la concurrence intermarques ne se résume pas à la concurrence entre réseaux de distribution.

La concurrence intermarques peut être restreinte par des accords entre titulaires. C’est le cas avec les accords de délimitation de marques, par lesquels des entreprises titulaires de marques identiques ou semblables (avec risque de confusion ou non) se partagent des clientèles ou des territoires. Ces ententes constituent au fond des renonciations à la concurrence naturelle. Elles sont pour cela suspectes. Si elles visent au cloisonnement du marché, elles sont a priori illicites, mais non si elles visent à éviter le risque de confusion, car la distinctivité est un élément essentiel de la valeur proconcurrentielle d’une marque (v. CJCE, 20 juin 1978, Tepea, aff. C-28/77, et 30 janvier 1985, BAT, aff. 35/83).

La concurrence intermarques peut encore être restreinte par une entreprise qui abuserait de sa position dominante. La détention d’un vaste portefeuille de marques sur un même marché peut créer une domination. Mais une position dominante multimarque sur un même marché peut être légitime si elle est acquise par les mérites. Les abus surviennent soit en cas d’abus dans l’exploitation même de la marque (obligation de l’utiliser même en dehors des services offerts par l’entreprise, CJCE, 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt, aff. C-385/07 P), soit en cas d’acquisition d’une nouvelle marque sur un même marché, pour créer des barrières, par exemple avec un « buisson » de marques, soit encore au moyen de marques de réserve ou de blocage, qui bloquent la concurrence intermarques potentielle (v. les centaines de marques déposées pour la coupe du monde de football 2000, BGH, 27 avril 2006). On peut obliger l’entreprise à renoncer à une ou à plusieurs de ses marques au profit de concurrents, pour rétablir la concurrence intermarques.

Des concentrations restrictives peuvent encore se réaliser par la simple acquisition de ces actifs que sont les marques. On peut alors imposer des cessions de marques (au besoin par engagements, v. p. ex., Aut. conc., déc. n° 18-DCC-95 du 14 juin 2018 ou n° 19-DCC-15 du 29 janvier 2019 ; v., pour un conglomérat de plusieurs marques incontournables, Aut. conc., déc. n° 17-DCC-12 du 31 janvier 2017, et CE, 6 février 2004, Moulinex, n° 249267). On a vu des entreprises dominantes, après avoir été obligées de céder une marque dans une procédure de concentration, détourner l’attractivité de la marque cédée vers une marque toujours détenue, privant d’effet le renforcement escompté de la concurrence intermarques (v. Aut. conc., déc. n° 12-D-15 du 9 juillet 2012).

 

Jurisprudences pertinentes

Union Européenne

CJUE, 25 juillet 2018, Mitsubishi, aff. C-129/17, EU:C:2018:594

CJUE, 6 décembre 2017, Coty Germany, aff. C-230/16, EU:C:2017:941

CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, aff. C-439/09, EU:C:2011:649

CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal-eBay, aff. C-324/09, EU:C:2011:474

CJUE, 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt, aff. C-385/07 P, EU:C:2009:456

CJUE, 23 avril 2009, Copad-Dior, aff. C-59/08, EU:C:2009:260

CJCE, 17 octobre 1990, Hag II, aff. C-10/89, EU:C:1990:359

CJCE, 22 octobre 1986, Metro, aff. 75/84, EU:C:1986:399

CJCE, 30 janvier 1985, BAT, aff. 35/83, EU:C:1985:32

CJCE, 20 juin 1978, Tepea, aff. C-28/77, EU:C:1978:133

CJCE, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, aff. 78-70, EU:C:1971:59

CJCE, 18 février 1971, Sirena, aff. 40/70, EU:C:1971:18

CJCE, 13 juillet 1966, Consten et Grundig, aff. jtes 56 et 58-64, EU:C:1966:41

TPICE, 12 décembre 1996, Leclerc c/ Givenchy, aff. T-88/92, EU:T:1996:192

Comm. CE, déc. 98/327/CE du 11 septembre 1997, Coca-Cola, aff. IV/M.833, JOCE n° L 145 du 15 mai 1998, p. 41

Allemagne

BGH, 27 avril 2006, Fussball WM 2006 (aff. I ZB 96/05) et WM 2006 (aff. I ZB 97/05)

France

CE, 6 février 2004, Moulinex, n° 249267

Aut. conc., déc. n° 19-DCC-15 du 29 janvier 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Alsa France SAS et des actifs incorporels nécessaires à la fabrication et à la vente des produits alimentaires sous marques Alsa et Moench par le groupe Dr. Oetker

Aut. conc., déc. n° 18-DCC-95 du 14 juin 2018 relative à la prise de contrôle exclusif d’une partie du pôle plats cuisinés ambiants du groupe Agripole par la société Financière Cofigeo

Aut. conc., déc. n° 17-DCC-12 du 31 janvier 2017 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Anios par le groupe Ecolab

Aut. conc., déc. n° 12-D-15 du 9 juillet 2012 relative au respect des engagements figurant dans la décision autorisant l’acquisition de Socopa Viandes par Groupe Bigard

 

Bibliographie

Comm. eur., Lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE n° C 130 du 19 mai 2010, p. 1

Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOUE n° L 102 du 23 avril 2010, p. 1

AZEMA (J.) et GALLOUX (J. Ch.), Droit de la propriété industrielle, 8e éd., Paris, Dalloz, 2017, n° 1734 et s.

GAVALDA (Ch.), PARLEANI (G.) et LECOURT (B.), Droit des affaires de l’Union européenne, 8e éd., Paris, LexisNexis, 2019, n° 870 et s.

VOGEL (L.), Droit européen des affaires, 3e éd., Paris, LawLex / Bruxelles, Bruylant, 2020, n° 700 et s.

Auteur

  • University of Paris I Panthéon-Sorbonne

Citation

Gilbert Parleani, Concurrence inter-marques, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12177

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Concurrence entre les entreprises qui ont mis au point des marques ou des labels pour leurs produits afin de les distinguer des autres marques vendues sur le même segment de marché. Bien qu’ils ne soient pas considérés comme totalement équivalents par les consommateurs, les produits de marque se font toutefois concurrence, mais normalement dans une moindre mesure. Coca-Cola contre Pepsi est un exemple de concurrence intermarques.

Voir : Concurrence intramarque(s)

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