Clémence

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Arme de premier choix dans l’arsenal de détection des autorités de concurrence, la procédure de clémence a été insérée en droit français par la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques. Elle figure aux articles L. 464-2 et R. 464-5 du code de commerce et son cadre d’application est explicité par le communiqué de procédure du 3 avril 2015.

Semblable, mais non moins distinct, le programme de clémence de la Commission est constitué par sa communication de 2006, telle qu’amendée en 2015.

Ce mécanisme permet une réduction totale ou partielle du montant des amendes infligées aux entreprises en échange de la divulgation de l’existence d’une entente ou de la contribution à son établissement par l’apport d’éléments d’information dont l’autorité de concurrence ne disposait pas.

La clémence entend s’attaquer à l’ensemble des pratiques prohibées par l’article L. 420-1, le cas échéant par l’article 101 TFUE, dont les moyens de dissimulation s’avèrent de plus en plus sophistiqués.

Sa logique repose sur le concept du « dilemme du prisonnier » : l’objectif est de susciter une méfiance « de l’intérieur » par la menace permanente que l’un des participants puisse révéler l’entente aux autorités, la clémence motivant cette tentation par la rentabilité de la dénonciation.

L’intérêt de la clémence se situe tant en aval qu’en amont de la formation des cartels. Si elle facilite largement la détection des ententes secrètes aux fins de leur constatation et de leur sanction, elle dissuade également les entreprises de s’engager dans cette voie.

Pour les autorités de concurrence, la coopération avec les protagonistes des ententes réduit considérablement le temps, la difficulté et le coût administratif des enquêtes dédiées à ces infractions.

Pour autant, une politique de clémence isolée serait bien peu efficace. En raison de sa nature passive, la clémence forme, non pas un substitut, mais un complément à d’autres méthodes de détection. Son efficience dépend directement d’une combinaison entre des sanctions dissuasives et une menace crédible de détection : les participants à l’entente doivent percevoir un risque sérieux d’être directement épinglé par l’autorité de concurrence, sans recours à la clémence.

C’est donc l’interaction entre l’incertitude de se faire prendre et la peur d’être fortement sanctionné qui vient parasiter la confiance mutuelle établie entre les cartellistes.

 

Pour aller plus loin

Le moment d’introduction de la clémence revêt une importance déterminante : quelques minutes peuvent faire basculer l’amende d’une immunité totale à une simple réduction.

Dès le premier contact avec l’autorité de concurrence, l’entreprise sollicite l’octroi d’un « marqueur » : ce marquage définit et protège le rang d’arrivée du demandeur durant une période au cours de laquelle il devra rassembler les preuves nécessaires. Les éléments attendus renvoient à la description de l’entente, ses objectifs, son mode de fonctionnement, les produits en cause, sa portée géographique, sa durée ou encore les volumes concernés.

Conditions d’éligibilité

La première entreprise dénonciatrice pourra prétendre à une exonération totale d’amende si elle fournit suffisamment de preuves à l’autorité de concurrence (dont elle ne disposait pas) pour lui permettre de lancer des mesures d’investigation ciblée ou d’établir l’existence de l’infraction. Ce fut le cas dans l’affaire du « cartel des compotes », où l’entreprise Coroos a pu échapper à toute sanction (décision 19-D-24).

Tout autre participant à l’entente qui sollicite la clémence par la suite peut bénéficier d’une réduction de l’amende s’il fournit des preuves d’une « valeur ajoutée significative ». Le niveau de réduction, pouvant atteindre jusqu’à 50% de l’amende, dépendra du rang d’arrivée et du degré de valeur ajoutée significative apporté par les nouvelles preuves.

Sur ce point, deux précisions méritent d’être relevées.

Premièrement, le cas de la « clémence Plus » : si un nouvel élément de valeur ajoutée significative augmente la gravité de l’infraction ou sa durée, élargissant mécaniquement l’assiette de calcul de l’amende, cet élément ne sera pas pris en compte pour déterminer le montant de l’amende infligée à l’entreprise concernée. L’entreprise Daunat n’a ainsi pas vu son amende croitre, bien qu’elle ait fourni des éléments propres à étendre le champ temporel du « cartel du sandwich » (décision 21-D-09).

Deuxièmement, une fois le classement fixé, il ne peut être modifié ultérieurement : l’éventuelle inéligibilité d’un demandeur à une réduction d’amende n’affecte aucunement l’ordre dans la « file d’attente » des demandes de clémence (CJUE, 3 juin 2021, Recylex c. Commission, C-563/19 P).

Conditions de fond

Pour prétendre à une exonération, totale ou partielle, des conditions de fond doivent également être remplies.

Premièrement, le demandeur doit mettre fin à sa participation à l’infraction sans délai, sauf si cela reviendrait à mettre en péril l’efficacité des inspections. Deuxièmement, il doit coopérer de manière véritable, totale, permanente et rapide dès le dépôt de sa demande et tout au long de la procédure d’enquête et d’instruction. Troisièmement, le demandeur doit veiller à ce qu’aucune preuve ne soit détruite et à ce que l’existence de la demande de clémence ne soit pas révélée (CJUE, 12 juin 2014, DeltaFina, C-578/11 P). Enfin, aucune exonération totale de sanction pécuniaire ne peut être accordée à une entreprise qui en a contraint d’autres à participer à l’infraction, bien que cela ne s’oppose pas à l’octroi d’une réduction.

Articulation entre la Commission et les ANC

L’absence de guichet unique ouvre une difficulté : en cas d’entente affectant plusieurs États membres, il appartient aux entreprises d’introduire leurs demandes de clémence auprès de la Commission et des ANC compétentes. En ce sens, des demandes sommaires remises aux ANC permettent d’alléger la charge administrative. Les programmes de clémence européens et nationaux étant totalement indépendants, l’obtention d’une réduction dans l’une des procédures ne présage rien du traitement accordé dans l’autre (CJUE, 20 janvier 2016, DHL Express et DHL Global Forwarding, C-428/14).

Articulation avec les autres procédures négociées

Ayant les mêmes ambitions d’accroître l’efficacité et de récompenser la coopération, la procédure de clémence peut être cumulée avec celle de transaction. Cela a été admis, entre autres, pour deux entreprises dans l’affaire des revêtements de sol résilients (décision 17-D-20). Il en va différemment pour la procédure d’engagement, qui poursuit une finalité bien distincte.

Clémence et « private enforcement »

Enfin, l’actualité le revendiquant, il convient de souligner que l’immunité accordée au titre de la clémence ne protège pas de potentielles suites en droit civil. Pour préserver les gains de la clémence, deux garde-fous ont été dressés. D’une part, l’entreprise ayant obtenu l’immunité n’est responsable solidairement que du préjudice subi par ses acheteurs ou fournisseurs.

D’autre part, les déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence ne peuvent être utilisées au soutien d’une action en dommages et intérêts. Toutefois, le champ de ce bénéfice reste limité : cela ne vaut que pour ces déclarations. La version non confidentielle de la décision de la Commission peut tout de même faire apparaître des informations issues du dossier de clémence, tant sur la réalisation de l’infraction que sur l’implication du demandeur (CJUE, 14 mars 2017, Evonik Degussa c. Commission, C-162/15 P).

Mots de la fin

Incontestablement, avec un grand nombre de cartels détectés par ce biais et des sanctions pécuniaires allant jusqu’à plus de 600 millions d’euros (décision 14-D-19), la réputation de la procédure de clémence n’est plus à faire. Dans ce jeu du chat et de la souris entre autorités de concurrence et cartellistes, la clémence fait donc figure d’appât de taille. Mais si l’odeur du fromage déloge les rongeurs de leurs trous, aux derniers ne restera que les miettes !

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 3 juin 2021, Recylex c/ Commission, aff. C-563/19 P, EU:C:2021:428

CJUE, 14 mars 2017, Evonik Degussa c/ Commission, aff. C-162/15 P, EU:C:2017:205

CJUE, 20 janvier 2016, DHL Express (Italy) et DHL Global Forwarding (Italy), aff. C-428/14, EU:C:2016:27

CJUE, 12 juin 2014, Deltafina, aff. C-578/11 P, EU:C:2014:1742

CJUE, 24 octobre 2013, Kone e.a. c/ Commission, aff. C-510/11 P, EU:C:2013:696

CJUE, 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09, EU:C:2011:389

France

Aut. conc., déc. no 21-D-09 du 24 mars 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication et de la commercialisation de sandwichs sous marque de distributeur

Aut. conc., déc. no 19-D-24 du 17 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des fruits vendus en coupelles et en gourdes

Aut. conc., déc. no 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients

Aut. conc., déc. no 14-D-19 du 18 décembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits d’entretien et des insecticides et dans le secteur des produits d’hygiène et de soins pour le corps

Aut. conc., déc. no 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques

 

Bibliographie

Article L. 464-2 du code de commerce

Article R. 464-5 du code de commerce

ARCHIMBAUD (A.), « Les programmes de clémence européens et les actions privées de concurrence : Les liaisons dangereuses », Concurrences no 3-2020, art. no 95697, www.concurrences.com

Aut. conc., Communiqué de procédure du 3 avril 2015 relatif au programme de clémence français

Communication de la Commission, Modification de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JOUE no C 256 du 5 août 2015, p. 1

Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JOUE no C 298 du 8 décembre 2006, p. 17

CUZIAT (E.), « La clémence, une procédure exigeante », Concurrences no 3-2013, art. no 52998, p. 204

RIFFAULT-SILK (J.), « Procédures négociées, actions en réparation de dommages résultant de pratiques anticoncurrentielles : conflit(s), ou synergie(s) ? », in Laurence Idot Liber Amicorum : Concurrence et Europe – Vol. 2, Ch. Lemaire et F. Martucci (dir.), Paris, Concurrences, 2022, p. 111

WILS (W. P. J.), « The Use of Leniency in EU Cartel Enforcement : An Assessment After Twenty Years », World Competition, 2016, vol. 39, no 3, p. 327

YSEWYN (J.) et VAN KRUIJSDIJK (L.), « Leniency & competition law : An overview of EU and national case law », 7 avril 2022, e-Competitions Leniency, art. no 105986

Auteur

Citation

Théodore Plat, Clémence, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12159

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Terme générique désignant la réduction totale ou partielle du montant des amendes infligées aux entreprises qui coopèrent avec les autorités de concurrence dans le cadre d’enquêtes sur des ententes. Actuellement, le programme de clémence de la Commission est constitué par sa communication de 2006 sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, telle qu’amendée en 2015 (JO C 256, 5.8.2015, p.1). Commission européenne

Voir Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, Journal officiel C 298, 8.12.2006, p. 17

Modification de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, Journal officiel C 256, 5.8.2015, p.1

(...) L’entreprise qui révèle une entente à laquelle elle a participé peut bénéficier d’une exonération totale d’amende (si elle est la première à demander la clémence et si elle apporte des informations suffisantes pour établir une infraction), et les suivantes d’une exonération partielle, en fonction de leur ordre d’arrivée et de la valeur ajoutée des preuves apportées. (...) La finalité de ce dispositif est la préservation de l’ordre public économique et de l’économie de marché. Les pratiques anticoncurrentielles, et en particulier les ententes et cartels, peuvent avoir des conséquences très dommageables pour les consommateurs et l’économie. Certaines entreprises s’affranchissent des règles de concurrence en faisant payer à leurs clients (consommateurs ou entreprises) un surprix artificiel qui résulte de ces pratiques, pouvant aller jusqu’à 20% ! Les moyens de dissimulation des ententes utilisés sont aujourd’hui extrêmement sophistiqués (réunions secrètes, messages cryptés...), ce qui rend leur découverte très difficile. Importée des États-Unis et très pratiquée auprès de la Commission européenne, la clémence est donc un moyen extrêmement efficace et de nombreuses autorités de concurrence en Europe disposent aujourd’hui d’une telle procédure (26 États membres sur 27). L’Autorité de la concurrence a pu détecter des ententes importantes – ayant porté préjudice aux PME ou aux consommateurs – grâce à son programme de clémence, notamment dans les secteurs de la distribution de produits chimiques (2013), de la farine en sachet (2012), de la lessive (2011) et de l’acier (2008). D’autres affaires sont en cours d’instruction. La clémence est non seulement un outil de détection, mais également un élément de déstabilisation interne du cartel : du simple fait de son existence, les participants à une entente courent le risque d’être démasqués à tout moment (même une fois le cartel dissous). Les entreprises concernées ont tout intérêt à jouer la carte de la clémence : c’est la garantie de ne pas se faire doubler et une bonne façon de tourner la page ! © Autorité de la concurrence

 
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