Le moment d’introduction de la clémence revêt une importance déterminante : quelques minutes peuvent faire basculer l’amende d’une immunité totale à une simple réduction.
Dès le premier contact avec l’autorité de concurrence, l’entreprise sollicite l’octroi d’un « marqueur » : ce marquage définit et protège le rang d’arrivée du demandeur durant une période au cours de laquelle il devra rassembler les preuves nécessaires. Les éléments attendus renvoient à la description de l’entente, ses objectifs, son mode de fonctionnement, les produits en cause, sa portée géographique, sa durée ou encore les volumes concernés.
Conditions d’éligibilité
La première entreprise dénonciatrice pourra prétendre à une exonération totale d’amende si elle fournit suffisamment de preuves à l’autorité de concurrence (dont elle ne disposait pas) pour lui permettre de lancer des mesures d’investigation ciblée ou d’établir l’existence de l’infraction. Ce fut le cas dans l’affaire du « cartel des compotes », où l’entreprise Coroos a pu échapper à toute sanction (décision 19-D-24).
Tout autre participant à l’entente qui sollicite la clémence par la suite peut bénéficier d’une réduction de l’amende s’il fournit des preuves d’une « valeur ajoutée significative ». Le niveau de réduction, pouvant atteindre jusqu’à 50% de l’amende, dépendra du rang d’arrivée et du degré de valeur ajoutée significative apporté par les nouvelles preuves.
Sur ce point, deux précisions méritent d’être relevées.
Premièrement, le cas de la « clémence Plus » : si un nouvel élément de valeur ajoutée significative augmente la gravité de l’infraction ou sa durée, élargissant mécaniquement l’assiette de calcul de l’amende, cet élément ne sera pas pris en compte pour déterminer le montant de l’amende infligée à l’entreprise concernée. L’entreprise Daunat n’a ainsi pas vu son amende croitre, bien qu’elle ait fourni des éléments propres à étendre le champ temporel du « cartel du sandwich » (décision 21-D-09).
Deuxièmement, une fois le classement fixé, il ne peut être modifié ultérieurement : l’éventuelle inéligibilité d’un demandeur à une réduction d’amende n’affecte aucunement l’ordre dans la « file d’attente » des demandes de clémence (CJUE, 3 juin 2021, Recylex c. Commission, C-563/19 P).
Conditions de fond
Pour prétendre à une exonération, totale ou partielle, des conditions de fond doivent également être remplies.
Premièrement, le demandeur doit mettre fin à sa participation à l’infraction sans délai, sauf si cela reviendrait à mettre en péril l’efficacité des inspections. Deuxièmement, il doit coopérer de manière véritable, totale, permanente et rapide dès le dépôt de sa demande et tout au long de la procédure d’enquête et d’instruction. Troisièmement, le demandeur doit veiller à ce qu’aucune preuve ne soit détruite et à ce que l’existence de la demande de clémence ne soit pas révélée (CJUE, 12 juin 2014, DeltaFina, C-578/11 P). Enfin, aucune exonération totale de sanction pécuniaire ne peut être accordée à une entreprise qui en a contraint d’autres à participer à l’infraction, bien que cela ne s’oppose pas à l’octroi d’une réduction.
Articulation entre la Commission et les ANC
L’absence de guichet unique ouvre une difficulté : en cas d’entente affectant plusieurs États membres, il appartient aux entreprises d’introduire leurs demandes de clémence auprès de la Commission et des ANC compétentes. En ce sens, des demandes sommaires remises aux ANC permettent d’alléger la charge administrative. Les programmes de clémence européens et nationaux étant totalement indépendants, l’obtention d’une réduction dans l’une des procédures ne présage rien du traitement accordé dans l’autre (CJUE, 20 janvier 2016, DHL Express et DHL Global Forwarding, C-428/14).
Articulation avec les autres procédures négociées
Ayant les mêmes ambitions d’accroître l’efficacité et de récompenser la coopération, la procédure de clémence peut être cumulée avec celle de transaction. Cela a été admis, entre autres, pour deux entreprises dans l’affaire des revêtements de sol résilients (décision 17-D-20). Il en va différemment pour la procédure d’engagement, qui poursuit une finalité bien distincte.
Clémence et « private enforcement »
Enfin, l’actualité le revendiquant, il convient de souligner que l’immunité accordée au titre de la clémence ne protège pas de potentielles suites en droit civil. Pour préserver les gains de la clémence, deux garde-fous ont été dressés. D’une part, l’entreprise ayant obtenu l’immunité n’est responsable solidairement que du préjudice subi par ses acheteurs ou fournisseurs.
D’autre part, les déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence ne peuvent être utilisées au soutien d’une action en dommages et intérêts. Toutefois, le champ de ce bénéfice reste limité : cela ne vaut que pour ces déclarations. La version non confidentielle de la décision de la Commission peut tout de même faire apparaître des informations issues du dossier de clémence, tant sur la réalisation de l’infraction que sur l’implication du demandeur (CJUE, 14 mars 2017, Evonik Degussa c. Commission, C-162/15 P).
Mots de la fin
Incontestablement, avec un grand nombre de cartels détectés par ce biais et des sanctions pécuniaires allant jusqu’à plus de 600 millions d’euros (décision 14-D-19), la réputation de la procédure de clémence n’est plus à faire. Dans ce jeu du chat et de la souris entre autorités de concurrence et cartellistes, la clémence fait donc figure d’appât de taille. Mais si l’odeur du fromage déloge les rongeurs de leurs trous, aux derniers ne restera que les miettes !