Il est important de noter que la Commission européenne a lancé en 2018 le réexamen du règlement d’exemption (UE) no 330/2010 – qui a expiré le 31 mai 2022 – et des lignes directrices sur les restrictions verticales. Au terme de l’évaluation, la Commission tend à considérer que le règlement d’exemption et les lignes directrices sur les restrictions verticales sont des outils utiles qui facilitent l’autoévaluation des accords par les parties (Comm. eur., document de travail du 8 septembre 2020). Si un certain nombre de problèmes ont été identifiés, les listes des restrictions caractérisées et des restrictions exclues sont jugées généralement appropriées. Toutefois, il est envisagé de compléter le dispositif actuel pour résoudre des difficultés soulevées par l’évolution des pratiques et notamment le développement du commerce en ligne. Pourraient ainsi être visées les clauses relatives au prix de revente imposé et les restrictions des ventes en ligne.
Clause noire et clause rouge
Définition auteur
Premier aperçu
Si par dérogation à l’interdiction des ententes (art. 101 TFUE ; art. L. 420-1 C. com.), certains accords peuvent bénéficier d’une exemption, c’est en principe sous réserve de ne pas contenir de restrictions graves à la concurrence. Parmi les clauses rencontrées dans les accords, il convient de distinguer selon la gravité de l’atteinte pour déterminer ses effets sur le bénéfice de l’exemption. Tant le droit de l’Union européenne (art. 101 TFUE ; règl. (UE) no 330/2010 du 20 avril 2010 relatif aux accords verticaux) que le droit national (art. L. 464-6-1 et L. 464-6-2 C. com.) invitent ainsi à mettre en évidence des restrictions caractérisées (restrictions caractérisées, dites « clauses noires »). En outre, les règlements d’exemption prévoient un régime particulier lorsque la restriction est d’une moindre gravité (restrictions exclues, dites « clauses rouges »). Si l’exemple le plus connu reste celui du règlement relatif aux accords verticaux, il faut rappeler que la distinction est mise en œuvre également dans d’autres textes tels que le règlement d’exemption (UE) no 316/2014 du 21 mars 2014 relatif aux accords de transfert de technologie (art. 4 sur les restrictions caractérisées et art. 5 sur les restrictions exclues du règl. (UE) no 316/2014) et le règlement d’exemption (UE) no 1217/2010 du 14 décembre 2010 relatif aux accords de recherche et développement (art. 5 sur les restrictions caractérisées et art. 6 sur les restrictions exclues du règl. (UE) no 1217/2010).
Les règlements de premières générations, adoptés à la suite du règlement no 19/65/CEE du 2 mars 1965, distinguaient trois types de clauses : (i) les clauses noires, qui ne bénéficiaient pas de l’exemption ; (ii) les clauses grises, qui pouvaient bénéficier de l’exemption, bien que restrictives ; (iii) les clauses blanches, qui étaient considérées comme ne portant pas atteinte à la concurrence. La pratique normative actuelle adopte une démarche différente qui ne vise plus les clauses blanches et porte son attention sur les clauses noires et rouges. Pour raisonner sur l’exemple typique du règlement (UE) no 330/2010, il faut ainsi rappeler que, outre l’absence de dépassement du seuil des 30 % de parts de marché, un accord ne bénéficie de l’exemption que s’il ne contient ni restriction caractérisée, ni restriction exclue. L’idée générale qui préside à ces dispositions est exprimée au considérant 8 du règlement (UE) no 330/2010 : « On peut présumer, lorsque la part de marché détenue par chaque entreprise partie à l’accord sur le marché en cause ne dépasse pas 30 %, que les accords verticaux qui ne contiennent pas certaines restrictions graves de concurrence ont généralement pour effet d’améliorer la production ou la distribution et de réserver aux consommateurs une partie équitable des avantages qui en résultent » (comp. cons. 11 du règl. (UE) no 316/2014).
Les clauses noires créent une restriction caractérisée dont la gravité est telle qu’elle prive du bénéfice de l’exemption l’accord dans son entier (art. 4 du règl. (UE) no 330/2010 ; art. 4 du règl. (UE) no 316/2014). De manière générale, sont ainsi visées les pratiques de prix de vente minimal ou imposé (art. 4 a) du règl. (UE) no 330/2010) et les pratiques tendant à un partage du marché (art. 4 b) du règl. (UE) no 330/2010). Dans le règlement (UE) no 330/2010, deux restrictions caractérisées visent plus spécifiquement la distribution sélective de manière à écarter des restrictions non nécessaires et proportionnées recourant à une répartition territoriale ou limitant les opérations entre membres du réseau (art. 4 c) et d) du règl. (UE) no 330/2010). En matière de restrictions horizontales, des dispositions analogues se retrouvent qui prohibent les clauses relatives, par exemple, à la fixation des prix pour la vente du produit contractuel à des tiers ou du montant de la licence sur les technologies contractuelles octroyée à des tiers ou à la limitation de la production ou de la vente (art. 5 b) et c) du règl. (UE) no 1217/2010).
Des exceptions sont prévues à ces dispositions relatives aux restrictions caractérisées. Notamment, en matière de restrictions territoriales, sur le fondement de l’article 4 b) i) du règlement (UE) no 330/2010, un fournisseur peut restreindre les ventes actives d’un distributeur sur un territoire ou à une clientèle que le fournisseur s’est exclusivement réservés ou qu’il a alloués à un autre acheteur, lorsque cette restriction ne limite pas les ventes réalisées par les clients de l’acheteur. Cette exception permet ainsi, en présence d’un réseau de distribution exclusive, à un fournisseur d’interdire les ventes actives sur internet, mais aussi à un distributeur de réaliser des ventes passives en dehors de son territoire par l’intermédiaire de son site internet. En revanche, un distributeur sélectionné ne peut se voir imposer de restrictions : ventes actives et passives lui sont permises en principe (Aut. conc., déc. no 18-D-23 du 24 octobre 2018. Comp., en matière de produits de luxe, CJUE, 6 décembre 2017, Coty Germany, aff. C-230/16).
En présence d’une restriction caractérisée, l’accord est présumé relever de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (lignes directrices sur les restrictions verticales (2010/C 130/01) – ci-après « LD » –, pt 47). Il n’est pas possible de séparer les clauses noires des autres dispositions de l’accord (LD, pt 70). La portée de cette restriction doit par conséquent être distinguée du dépassement du seuil, qui ne fait pas présumer l’illicéité de l’accord. Les clauses noires sont considérées comme d’une gravité telle qu’il n’est pas nécessaire d’établir qu’elles ont eu un effet sur le marché. Il ne s’agit pas pour autant d’une interdiction per se dans la mesure où il reste possible de prouver l’existence d’effets favorables à la concurrence, mais il est peu probable que l’accord bénéficie d’une exemption individuelle sur le fondement du paragraphe 3 de l’article 101 TFUE (v. not. LD, pts 60-64). Cela ne sera possible que de manière exceptionnelle, comme l’indiquent d’ailleurs les lignes directrices sur les restrictions verticales (pt 60).
Les clauses rouges portent sur des restrictions exclues dont la gravité est jugée moindre et privent du bénéfice de l’exemption les seules clauses concernées (art. 5 du règl. (UE) no 330/2010 ; art. 6 du règl. (UE) no 1217/2010). Sont ainsi visées l’obligation directe ou indirecte de non-concurrence dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans (art. 5, para. 1 a), du règl. (UE) no 330/2010) ou les obligations de non-concurrence post-contractuelles (art. 5, para. 1 b), du règl. (UE) no 330/2010). Des exceptions sont également prévues à ces deux premières restrictions. Par exemple, il est prévu que la limitation de la durée à cinq ans posée par l’article 5, para. 1 a), n’est pas applicable lorsque les biens ou services contractuels sont vendus par l’acheteur à partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée de l’obligation de non-concurrence ne dépasse pas la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur (art. 5, para. 2, du règl. (UE) no 330/2010). Une troisième disposition vise la distribution sélective pour prévoir que l’exemption ne s’applique pas à toute obligation directe ou indirecte imposée aux membres d’un réseau de distribution sélective de ne pas vendre les marques de fournisseurs concurrents déterminés (art. 5, para. 1 c), du règl. (UE) no 330/2010).
Ne portant que sur les clauses contenant les restrictions exclues, les obligations, les autres dispositions de l’accord conservent le bénéfice de l’exemption. Elles sont dissociables des obligations non exemptées (v. not. LD, pt 71).
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’un règlement d’exemption n’établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu des clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à établir des conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l’interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l’article 81 du traité, devenu 101 TFUE (CJCE, 18 décembre 1986, aff. 10/86 ; Cass. com., 5 juillet 2016, no 15-17.004). Toutefois, il faut bien reconnaître que les rédacteurs de contrat sont fortement incités à se conformer aux exigences du droit de la concurrence et à proscrire les clauses noires ou rouges, de manière qu’il n’est pas excessif d’évoquer une forme de « modèle contractuel en négatif » (v. Buy et coll., 2019, no 141).
Jurisprudences pertinentes
Union européenne
CJUE, 6 décembre 2017, Coty Germany, aff. C-230/16, EU:C:2017:941
CJCE, 18 décembre 1986, VAG France SA c/ Établissements Magne SA, aff. 10/86, EU:C:1986:502
France Cass. com., 16 mai 2018, Sté Coty, no 16-18.174 et no 16-20.040
Bibliographie
Comm. eur., Commission Staff Working Document Evaluation of the Vertical Block Exemption Regulation, SWD(2020) 172 final, 8 septembre 2020
Règlement (UE) no 316/2014 de la Commission du 21 mars 2014 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie, JOUE no L 93 du 28 mars 2014, p. 17
Règlement (UE) no 1217/2010 de la Commission du 14 décembre 2010 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de recherche et de développement, JOUE no L 335 du 18 décembre 2010, p. 36
Comm. eur., Lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE no C 130 du 19 mai 2010, p. 1
Règlement (UE) no 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOUE no L 102 du 23 avril 2010, p. 1
BUY (F.), LAMOUREUX (M.) et RODA (J.-Ch.), Droit de la distribution, 2e éd., Issy-les-Moulineaux, LGDJ, 2019, nos 130-141
VOGEL (L.), « Les règlements d’exemption “nouvelle génération” », Rev. conc. no 141, janv.-févr.-mars 2005
Auteur
- Nicolas MatheyUniversity Paris V Descartes (Paris)
Citation
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Éditeur Concurrences
Date 1er février 2023
Nombre de pages 842