L’argument de l’entreprise défaillante a oscillé entre des considérations d’intérêt public (éviter des pertes d’actifs productifs et d’emploi qui découleraient de l’interdiction de la concentration) et une pure logique d’effets sur la concurrence (analyse de la contrainte concurrentielle et absence de causalité de la concentration par rapport à un renforcement de position dominante).
Dans la législation américaine, l’analyse au départ plus focalisée sur l’intérêt public, a été raffinée, notamment par l’arrêt Citizen Publishing Co. v United States, et dans les lignes directrices pour les concentrations horizontales pour renforcer l’analyse contre-factuelle et notamment en insistant sur la condition qu’il n’y ait pas d’autre alternative moins anti-concurrentielle que l’acquisition, pour rendre l’exception pour entreprise défaillante recevable.
En Europe, l’attention à l’argument de l’entreprise défaillante a été plus suivie en période de crise économique, sans surprise. Par exemple, les autorités britanniques ont autorisé deux cas de fusion en 2009 durant la période de crise financière (Long Clawson/Millway et HMV/Zavvi) et la crise liée à la pandémie du COVID a vu une résurgence de l’argument, donnant lieu à des décisions d’autorisation de concentration sur cette base, par exemple en France (Conforama/But, Mobilux/Conforama).
Dans ses lignes directrices sur les concentrations horizontales de 2014, la Commission estime que les trois conditions suivantes sont particulièrement pertinentes pour que l’argument de l’entreprise défaillante soit retenu :
– l’entreprise acquise disparaitrait rapidement du marché si elle n’était pas reprise par une
autre entreprise,
– l’entreprise acquérante reprendrait la part du marché de l’entreprise acquise si celle-ci
venait à disparaitre du marché,
– il n’y a pas d’autre alternative d’achat moins dommageable pour la concurrence.
C’est aux parties notifiantes qu’il incombe de produire en temps voulu toutes les informations nécessaires pour démontrer que la détérioration de la structure de la concurrence qui se produira après la concentration n’est pas causée par celle-ci.
Il n’en demeure pas moins que l’argument de l’entreprise défaillante soit assez controversé car basé sur une anticipation à la fois de l’impact concurrentiel, des alternatives à la fusion et des gains d’efficacité potentiels. Dans le cas Aegan/Olympic, une fusion entre deux compagnies aériennes grecques, la Commission avait interdit la fusion en 2011, rejetant l’argument d’entreprise défaillante. Mais en 2013, elle a autorisé cette même transaction Aegean/Olympic sur la base de ce même argument, considérant que les conditions de concurrence avaient changé, que la contrainte concurrentielle provenant d’Olympic était bien moindre, qu’elle était vraiment défaillante et qu’il n’y avait pas d’alternative crédible à la fusion en question. Ce cas illustre l’importance de l’analyse des conditions spécifiques de marché et la difficulté de l’argument de l’entreprise défaillante.
Il est intéressant de ce point de vue de comparer l’argument de l’entreprise défaillante avec l’analyse des aides d’Etat au sauvetage. En effet, la Commission y utilise la notion d’entreprise en difficulté (en non pas défaillante) définie sur la base de critères juridiques ou statistiques. Une entreprise est considérée en difficulté lorsqu’il est pratiquement certain qu’en l’absence d’intervention de l’État elle sera contrainte de renoncer à son activité à court ou à moyen terme. Les critères utilisés se basent sur des éléments factuels tels les fonds propres, une procédure d’insolvabilité, ou le niveau de dettes. La marge d’appréciation y est donc moindre ce qui est peut-être préférable pour éviter des aides excessive tandis que les distorsions liés au sauvetage sont considérées très significatives car allant contre la sanction du marché. Mais ici encore, les bénéfices sociaux du sauvetage sont retenus.