L’abondant contentieux qui s’est développé dans le champs du droit de la concurrence a mis en avant des questionnements récurrents qui sont loin d’être taris, singulièrement sous l’empire du règlement Bruxelles I bis. La possibilité laissée au demandeur de choisir entre plusieurs fors compétents est parfois interprétée comme une invitation au forum shopping dans un contexte de concurrence entre juridictions nationales pour attirer à elles le contentieux. La question est également posée de savoir si le contentieux international de la concurrence n’appelle pas l’adoption de règles spécifiques (il est notable à ce titre que les entraves à la concurrence aient été exclues du champ des conventions de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for et du 2 juillet 2019 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale).
Choix du défendeur d’ancrage
En présence de codéfendeurs ayant participé à une infraction unique et continue, le demandeur peut choisir de porter son action devant les juridictions du pays où est domicilié l’un d’eux. Sous réserve d’une collusion frauduleuse, cette juridiction conserve sa compétence à l’égard des codéfendeurs même si le demandeur se désiste ultérieurement de son action à l’égard du défendeur d’ancrage (CJUE, 21 mai 2015, CDC, aff. C-352/13).
Frontières du contrat et du délit
Lorsque les parties au litige sont unies par des liens contractuels, la question se pose de savoir si l’action en réparation du dommage concurrentiel est contractuelle ou extracontractuelle. Cette question se trouve au coeur d’un contentieux abondant, non stabilisé. Dans un premier temps, la Cour de justice de l’Union européenne a marqué sa préférence pour la qualification contractuelle (CJUE, 13 mars 2014, Brogsitter, aff. C-548/12, à propos d’une action en concurrence déloyale ; CJUE, 14 juillet 2016, Granarolo, aff. C-196/15, à propos d’une action pour rupture brutale d’une relation commerciale établie). La force d’attraction du contrat n’est toutefois pas sans limite, du moins lorsque le contrat n’est qu’un instrument de violation d’un devoir imposé par la loi. Dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles, la CJUE a retenu le caractère délictuel de l’action exercée contre les membres d’un cartel par la société cessionnaire des créances de réparation détenues par les sociétés clientes des cartellistes (CDC, préc.). Plus récemment, elle a retenu le caractère délictuel d’une action formée par un hôtelier pour faire cesser certains agissements contractuels mis en œuvre par une plateforme de réservation en ligne, sur une allégation d’abus de position dominante commis par celle-ci (CJUE, 24 novembre 2020, Wikingerhof GmbH & Co. KG, aff. C-59/19).
Identification du for du contrat ou du for du délit
La qualification de l’action n’est que la première difficulté. Pour les actions contractuelles, le for du contrat n’est pas déterminé de la même façon pour les contrats de vente, les contrats de fourniture de services et les contrats qui ne peuvent être qualifiés ni de vente ni de fourniture de services. Après avoir hésité, la jurisprudence a admis qu’un contrat de concession était qualifiable de contrat de fourniture de services (CJUE, 19 décembre 2013, Corman-Collins, aff. C-9/12). Il n’est pas certain cependant que la même qualification s’applique dans toutes les relations verticales. Quant au for du délit, il s’agit du lieu du fait dommageable. Or celui-ci est fréquemment éclaté dans les litiges de concurrence (série d’actes localisés dans les Etats A et B ayant occasionné un dommage dans les Etats A, B, C, D, etc.), ce qui occasionne des difficultés particulières lorsque les juridictions du lieu du dommage sont saisies. D’abord, la localisation du dommage est problématique sur les marchés physiques et électroniques (CJUE, 21 décembre 2016, Concurrence, aff. C-618/15 ; CJUE 29 juillet 2019, Tibor Trans, aff. C-451/18). Ensuite, les juridictions du lieu du dommage ne peuvent se prononcer que sur le dommage subi localement (comp., en cas de dénigrement en ligne, CJUE 17 octobre 2017, Bolagsupplysningen, aff. C-194/16 ; Cass. 1re civ., 13 mai 2020, n° 18-24.850).
Jeu des clauses attributives de juridiction
Destinées à assurer la prévisibilité du for compétent, ces clauses suscitent un abondant contentieux. Une question classique est relative à leur validité en la forme et au fond. La partie la plus sensible du contentieux concerne toutefois l’efficacité de la clause. En l’absence de référence au contentieux de la concurrence, peut-on considérer que la clause s’y rapporte ? Jadis, les juges du fond étaient souverains pour en décider. Aujourd’hui, la Cour exige que le comportement anticoncurrentiel allégué ne soit pas étranger à la relation contractuelle, ce qui suppose parfois une référence explicite au contentieux de la concurrence (comp. CDC, préc., et CJUE, 24 octobre 2018, Apple Sales International, aff. C-595/17). Pour la mise en oeuvre des clauses d’élection de for, aucune distinction n’est faite en revanche suivant que l’action est autonome ou de suivi.
Le développement des actions de groupe, des action intentées par le cessionnaire d’une créance de réparation ou par le ministre l’économie en France ouvre aujourd’hui la voie à des questionnements inédits.