Marquée notamment par la publication récente d’un rapport conjoint de la Federal Trade Commission et de l’US Department of Justice mais aussi par l’arrêt rendu par le Tribunal de première instance des Communautés européennes dans l’affaire Microsoft, la problématique de l’interaction entre le droit de la concurrence et les droits de propriété intellectuelle s’est aussi enrichie au cours de l’année 2007 de la publication des actes des 10ème ateliers annuels du droit européen de la concurrence qui ont eu lieu ... deux ans plus tôt (les 3 et 4 juin 2005) au Centre de recherche Robert Schuman de l’Institut Universitaire européen de Florence.
Cet ouvrage collectif débute avec une présentation d’ensemble du thème et des travaux rédigée par M. le Professeur Hanns Ullrich. Ce panorama est d’abord l’occasion de justifier le choix du sujet. L’évolution concomitante des droits de propriété intellectuelle et du droit de la concurrence contribue à renouveler la question de leur interaction en multipliant les points de contact. À l’extension du champ de la propriété intellectuelle débouchant, d’une part, dans la sphère du brevet, sur l’augmentation du nombre de demandes de titre et, d’autre part, dans la sphère du « copyright », sur l’émergence d’un droit de contrôler l’accès à l’information répond la mutation du droit de la concurrence. Ce dernier est désormais ancré dans une approche plus économique, ce qui conduit finalement à substituer une méthode centrée sur l’efficacité de l’utilisation du droit de propriété intellectuelle à une analyse autrefois fondée sur la portée et l’exploitation légitime d’un tel droit.
La démarche justifiée et le décor ainsi planté, le rideau s’ouvre sur trois sessions, chacune décomposée en deux tables rondes voyant intervenir d’éminents juristes ou économistes européens mais aussi américains, canadiens et même australiens. Les échanges de vues sont nourris par la variété des profils invités à s’exprimer et par des contributions écrites extrêmement détaillées remises préalablement aux participants.
La première table ronde se demande si la propriété intellectuelle exige ou justifie un traitement spécial par les règles de concurrence. Cette première question générale donne finalement le ton de l’ensemble des discussions et des contributions qui suivent. Si la propriété intellectuelle est une propriété comme une autre, elle présente néanmoins quelques particularités liées notamment à son exposition au parasitisme. Le débat ne peut s’abstraire par ailleurs d’une évaluation des ‘mérites’ du droit de la concurrence par rapport aux législations spécifiques aux droits de propriété intellectuelle pour remédier aux problèmes observés. Cette distinction entre ces deux corpus de règles ne se superpose d’ailleurs pas totalement à la question du moment de l’intervention puisque ces deux branches connaissent des outils d’intervention ex ante et ex post. Lors des débats, Hanns Ullrich relève avec intérêt que les spécialistes de la propriété intellectuelle se révèlent les plus motivés pour une intervention ex post du droit de la concurrence.
Les spécialistes du droit de la concurrence sont quant à eux plusieurs à insister sur les limites de cet outil pour remédier aux problèmes que rencontre la propriété intellectuelle. Ces limites tiennent aux difficultés à identifier les pratiques nocives et à calibrer les mesures correctives, et finalement à garantir la prévisibilité de la règle de concurrence ainsi que son efficacité dans la promotion de l’innovation. Cette approche critique sera confirmée dans le cadre du second panel consacré à l’examen du règlement d’exemption par catégorie et des lignes directrices communautaires applicables aux accords de transfert de technologie. Si les participants, au premier rang desquels les représentants de la Commission européenne, admettent que ce cadre communautaire présente des avancées, plusieurs d’entre eux insistent sur ses limites, qu’il s’agisse notamment des seuils en parts de marché, du traitement de la concurrence intra-technologique ou encore des restrictions territoriales.
La diversité des approches promues par les participants rejaillit plus tard lors des deux tables rondes suivantes au cours desquelles sont examinées les pratiques particulières que sont les communautés de brevet et la gestion collective des droits. Les échanges comme les contributions écrites s’inscrivent ici aussi dans une perspective comparative et transatlantique. Une nouvelle fois les avis sont partagés quant à l’instrument qu’il convient d’utiliser. Les travaux sur la gestion collective sont certes menés à l’aune de la jurisprudence classique sur les prix pratiqués à l’égard des utilisateurs et sur l’étendue des apports exigés des membres. Pour autant, l’intérêt du débat et des contributions est de faire ressortir les nouvelles dimensions du sujet découlant des nouvelles technologies de gestion des droits et des nouveaux modes d’exploitation.
L’atelier, et donc l’ouvrage, s’achèvent par l’examen du contrôle des concentrations et des abus de position dominante. Une première table ronde fait la part belle à la question de l’impact sur l’innovation des concentrations dans l’industrie pharmaceutique et, le cas échéant de l’intervention ex ante des autorités de concurrence. La problématique peut cependant s’étendre à d’autres secteurs intéressant les technologies de l’information. De manière générale, des conclusions sont cependant difficiles à dégager dans la mesure où l’impact sur l’innovation de l’intervention est discuté tant au stade de l’appréciation concurrentielle qu’au stade des remèdes.
La discussion autour de l’abus de position dominante laisse finalement découvrir qu’il y a autant de grilles d’interprétation des jurisprudences Magill et IMS ainsi que de la décision Microsoft qu’il y a d’intervenants. Ce constat met ainsi en lumière la difficulté de trouver un fil conducteur garant d’une certaine prévisibilité. Il est difficile de croire que l’arrêt rendu 17 septembre 2007 dans l’affaire Microsoft permettra de remédier à cette situation... À défaut d’éclaircir les chercheurs en quête de systématisation, cet arrêt, à l’image de l’ouvrage dont il est rendu compte ici, n’en demeure pas moins stimulant !