Emmanuel Combe commence l’une de ses chroniques – en l’espèce sur la faiblesse pérenne des taux d’intérêt à long terme – par une formule que nous nous permettrons de détourner : “Décidément, l’actualité n’en finit plus de démentir les lois économiques les plus établies (…)”. La lecture de son ouvrage nous conduirait à conclure : “Décidément, l’actualité est plus aisément décryptable avec le bon sens économique le mieux établi”. En effet, l’ouvrage publié par Emmanuel Combe, Chroniques (décalées) d’un économiste, qui regroupe ses tribunes publiées dans L’Opinion entre 2019 et 2021, témoigne de l’apport indispensable du raisonnement économique et d’une solide culture institutionnelle et historique pour rendre intelligibles et aisément assimilables des phénomènes économiques complexes qui peuvent paraître au premier abord contradictoires, voire chaotiques.
Le réel tour de force réalisé au fil des chroniques en termes pédagogiques est éclairé sous un jour particulier par leur publication commune et organisée dans un ouvrage. Le chaos des évènements des dernières années, des foucades de l’administration Trump à la pandémie de la Covid-19, n’occulte en rien la cohérence des explications économiques.
Si le libéralisme constitue la boussole de l’ensemble des chroniques signées par Emmanuel Combe, le pragmatisme, un exceptionnel talent de vulgarisation des résultats de l’analyse économique et un solide bon sens analytique sont les traits communs à chacune d’entre elles, quels que soient le domaine d’application retenu (de la microéconomie à la macroéconomie) et l’actualité décryptée.
Dans chaque domaine, les chroniques ont un double apport. Le premier est de donner une explication rationnelle (et particulièrement claire) à des phénomènes complexes. Le deuxième est de saisir à bras-le-corps cette complexité avec ce même raisonnement logique pour s’écarter de tout simplisme et de tout raisonnement binaire pour saisir quels pourraient être les effets non voulus de telle ou telle mesure de politique publique.
Au-delà de cet apport en termes d’intelligibilité des phénomènes économiques, ces chroniques constituent un apport essentiel au débat démocratique en montrant les enjeux et les arbitrages en termes de politique publique et de choix collectifs. Ce second apport est plus essentiel que jamais dans le cadre du débat public : la complexité des choix démocratiques suppose de fournir aux citoyens des clés de lecture sur les phénomènes politiques et économiques, et l’analyse économique est l’un des éléments essentiels de leur intelligibilité. Emmanuel Combe fournit chronique après chronique non pas des prescriptions mais des outils pour raisonner que le lecteur peut aisément s’approprier et appliquer à d’autres questionnements économiques. C’est pour cette raison que la lecture de ces chroniques, qui font suite au Petit manuel (irrévérencieux) d’économie, qui regroupait ses précédentes tribunes, est une lecture essentielle à mettre dans toutes les mains, non seulement des étudiants et des praticiens du droit et de l’économie, mais peut être et surtout de l’honnête homme, en d’autres termes de celles et ceux qui veulent mieux comprendre les enjeux et les transformations de notre économie et de notre société.
Cette recension (admirative) de l’ouvrage ne serait pas complète si je ne m’autorisais pas dans le cadre de notre revue à jeter un éclairage particulier sur quelques-unes des contributions concernant le droit et l’économie de la concurrence, dont Emmanuel Combe est l’un de nos plus éminents théoriciens et praticiens. Détailler chacune d’entre elles ne permettrait pas de rendre compte de leur cohérence d’ensemble et ne rendrait pas justice à la clarté et à la vigueur de la plume de l’auteur. Il convient plutôt de les regrouper en quelques grands ensembles.
En premier lieu, ces chroniques (décalées) s’articulent avec les débats les plus actuels quant au retour de la politique industrielle et aux arguments en faveur de la souveraineté économique. Parmi les lignes de force qui se dégagent des chroniques, deux semblent particulièrement importantes. Premièrement, la politique de concurrence est une politique industrielle en elle-même. Deuxièmement, il n’est pas d’efficacité à l’international sans concurrence interne. La politique industrielle doit permettre de favoriser l’éclosion et le développement de firmes performantes, mais ne doit en aucun cas consister à choisir les vainqueurs ou résider en un objectif de rattrapage ou de construction d’un champion national alternatif à un opérateur dominant étranger. Toujours en matière de politique industrielle, mais à la jointure avec le commerce international, Emmanuel Combe montre que nulle politique de “substitution aux importations” ne peut répondre aux enjeux dans le cadre d’une économie interconnectée : l’intervention des États et dans notre cas de l’UE est bien plus pertinente pour consolider des relations d’interdépendance stratégique entre des espaces économiques partageant de mêmes valeurs.
En second lieu, les chroniques nous placent au plus près des grands enjeux concurrentiels de l’heure, notamment liés au numérique. Elles nous invitent à saisir l’économie numérique sous l’angle des modèles d’affaires des entreprises, notamment les grandes plateformes au cœur des écosystèmes numériques, pour envisager des voies pragmatiques de régulation concurrentielle. Tous les modèles économiques ne se traduisent pas inexorablement par des blocages irréversibles de la concurrence, mais il est nécessaire de préserver les conditions de disruptions concurrentielles et de protéger les consommateurs sans pour autant les priver des gains que génère cette économie de plus en plus indémêlable de l’économie physique.
Ces points sur les politiques de concurrence au sens large sont loin d’épuiser tous les thèmes abordés dans ces chroniques, dont certains jouent un rôle central dans les débats politiques du printemps 2022, qu’il s’agisse de la transition écologique ou du retour de l’inflation. Le caractère très partiel de cette vue d’ensemble est de fait une invitation à se plonger dans la lecture de l’ouvrage d’Emmanuel Combe.